Écrits de l’intérieur: Essais
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1952 à Marseille, Jean-Claude de Crescenzo est Maître de Conférences à l’Université Aix-Marseille de 1986 à 2019, où il fonde et dirige les Études coréennes de 2003 à 2019. Directeur de la revue de littérature coréenne Keulmadang, depuis 2009, il est aussi co-traducteur. En 2012, il fonde, avec Franck de Crescenzo, Decrescenzo Éditeurs, une maison d’édition consacrée à la littérature coréenne.
Il est aussi Fondateur de l’Ecole de Médecine Traditionnelle Coréenne, à Aix-en-Provence, en 2001 et Président de l’Association pour la Coopération France-Corée depuis 2002. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles dont le dernier à paraître en France (paru en Corée du Sud en octobre 2020).
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Fictions coréennes: Sélection et présentation par Jean-Claude de Crescenzo Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
Écrits de l’intérieur - Jean-Claude de Crescenzo
Brève biographie
Lee Seung-u est né en 1959, près de Jangheung, dans la région du Jeolla, au sud de la Corée du Sud, dans un petit village au bord de la mer, dont il gardera un souvenir mitigé, présent dans chacun de ses romans. Il suit des études de théologie à l’université Yonsei, à Séoul, études qui marqueront profondément sa vie et irrigueront son œuvre littéraire. Puis il occupe une fonction de journaliste, qu’il quittera rapidement pour se consacrer à l’écriture. Il est aujourd’hui professeur d’écriture créative à l’université Choseon, à Kwangju, dans la région du Jeolla du Sud.
En Corée, il occupe une place de premier plan dans le paysage littéraire. Personnalité discrète, il aime se consacrer à son œuvre et à la marche. Régulièrement invité à l’étranger, il figure parmi les auteurs les plus publiés et les plus lus en France et dans le monde entier. Son œuvre est essentiellement romanesque (romans et recueils de nouvelles), mais Lee Seung-u aime franchir les frontières assignées aux genres. Il publie régulièrement des essais.
Sa carrière débute en 1981 avec un livre, Erijiktonui chosang (« Un portrait d’Erysichton »), non publié en France, et il obtient le Prix du nouvel écrivain décerné par la revue Littérature coréenne. Par la suite, sa carrière sera balisée de nombreux prix littéraires. En Corée du Sud, il est l’auteur de près d’une trentaine d’ouvrages.
Prix littéraires
1981 : Prix du nouvel écrivain
1993 : Prix Daesan
2002 : Prix Dong-seo
2003 : Prix Lee Hyo-seok
2007 : Prix Hyundae munhak
2010 : Prix Hwang Sun-won
2013 : Prix Dong-in
2018 : Prix Oh Young-su
Romans publiés en France
L’Envers de la vie (trad. Ko Kwang-dan et Jean-Noël Juttet), Zulma, 2000.
La Vie rêvée des plantes (trad. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet), Zulma, 2006 (rééd. Gallimard, coll. « Folio », 2009).
Ici comme ailleurs (trad. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet), Zulma, 2012 (rééd. Gallimard, coll. « Folio », 2013).
La Baignoire (trad. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet), Serge Safran Éditeur, 2016.
Le Regard de midi (trad. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet), Decrescenzo Éditeurs, 2014.
Le Chant de la terre (trad. Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo), Decrescenzo Éditeurs, 2017.
Cantant (titre provisoire), en cours de traduction par Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo, Decrescenzo Éditeurs, à paraître en ٢٠٢2.
Recueil de nouvelles publié en France
Le Vieux Journal (trad. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet), Serge Safran Éditeur, 2013.
Avant-propos
J’ai découvert l’œuvre de Lee Seung-u lors de la publication en France de son premier roman traduit. C’était dans les années 2000. La lecture de L’Envers de la vie¹ m’avait alors séduit par la polyphonie du texte et la violence toute rentrée du jeune personnage, Pak Pukil, devenu plus tard écrivain et dont un autre écrivain doit rédiger la biographie. L’astucieux procédé narratif avait sans doute fait écran, au moins pour moi, à la dimension de l’auteur, qui ne m’apparut que progressivement. Avec son deuxième ouvrage, La Vie rêvée des plantes², la profondeur allégorique de ses textes me plaçait face à un grand auteur. En apparence facile à lire, cette écriture est au contraire d’une profondeur obligeant à d’incessants retours sur le texte pour en extraire la puissance évocatrice. Les images, les symboles, s’imprègnent d’abord à la surface de notre conscience avant d’entreprendre leur savant travail de sape et de nous contraindre à revenir sur le texte, puis à revenir sur soi.
L’œuvre de Lee Seung-u est une œuvre de l’écriture de soi, une œuvre autocentrée sans qu’elle soit auto-fictive. Une œuvre de la sensation, de l’interrogation à propos de nos désirs et de nos manques pour en vérifier la validité. C’est une écriture de l’intériorité qui ne se satisfait pas du seul moi comme matériau. La singularité de l’auteur est de celles qui tirent vers nous le caractère universel de nos sensations.
Nous avons rencontré (j’associe à cette rencontre Kim Hye-gyeong, universitaire, traductrice et épouse) Lee Seung-u pour la première fois à Aix-en-Provence à l’occasion de la fête du Livre en 2009, dont le thème « L’Asie des Écritures croisées : un vrai roman » avait été proposé par Les Écritures croisées et l’équipe de recherche à laquelle j’appartiens à l’université d’Aix-Marseille, « Littératures d’Extrême-Orient, textes et traductions³ » de l’Institut de recherches asiatiques (IRASIA). Lee Seung-u et Kim Young-ha représentaient la Corée du Sud. Cette rencontre avec Lee Seung-u fut suivie de bien d’autres, partout où l’occasion nous en était donnée : Paris, Lyon, Séoul, Londres, Aix-en-Provence, etc. Rencontres privées ou rencontres littéraires dans le cadre des forums du Literature Translation Institute of Korea, j’invitai plusieurs fois Lee Seung-u à Aix-en-Provence, ville où il séjourna pendant une année, en 2018. Les nombreuses interviews que j’ai réalisées avec lui ont confirmé ce que je pressentais de la lecture de ses œuvres et de la profondeur que j’y trouvais : une profondeur vitale pour la littérature contemporaine.
Le projet de ce livre est né bien plus tard, à la suite des nombreuses chroniques que j’ai publiées dans la revue de littérature coréenne Keulmadang, lorsque la profonde unité de son œuvre se fut lentement dévoilée au fil des lectures. Sans que l’un de ses textes, long ou court, ressemblât à un autre, j’avais plaisir à découvrir combien l’œuvre creusait le même sillon ; les personnages pouvaient changer, les situations varier, le sillon portait en lui les fruits de la persévérance, la volonté de s’approcher d’une vérité crainte, d’une inquiétude lancinante, d’un espoir sans enthousiasme. De la sorte, sans lien apparent ni revendiqué, ses romans se répondaient l’un l’autre. J’étais face à une œuvre. L’œuvre d’un écrivain.
Les critiques et les journalistes sont toujours soucieux d’affilier un auteur à un autre, à un courant, à une communauté. Yi Cheong-jun est l’un de ces auteurs qui ont influencé des générations d’écrivains coréens contemporains, Lee Seung-u s’est abondamment nourri des littératures européennes – Gide, Hesse, Dostoïevski, Kafka, etc. –, œuvres traversées de symboles et de mythologies du vieux continent. Il est pourtant difficile de le classer dans une filiation précise. Certains lecteurs le rangent volontiers comme auteur kafkaïen, d’autres comme auteur dostoïevskien. Mais de quel Kafka s’agit-il ? Le Kafka de La Métamorphose ou le Kafka du Verdict ? Le Dostoïevski des Frères Karamazov ou celui des Souvenirs de la maison des morts ? Schopenhauer et Nietzsche ne sont pas non plus étrangers à son œuvre. Du premier, pour lequel l’homme est plongé dans un désir permanent, contraint de sublimer ses pulsions, il acquiert l’impossibilité d’accéder au bonheur et l’obligation de se contenter de traverser la vie sans trop de dégâts. Cet « innocent coupable », héritier du péché originel, peut trouver dans la mortification un moyen de parvenir au salut. Du second, ses personnages partagent une enfance sans père (Nietzsche perd son père à l’âge de quatre ans), des études de théologie, la volonté de dépasser la souffrance dans un monde sans Dieu ou dans lequel Dieu n’est plus entendu.
Si l’on devait attribuer une influence majeure à Lee Seung-u, ce serait certainement celle des saintes Écritures, œuvre polyphonique, diachronique, source d’inspiration jamais démentie, par laquelle l’auteur construit le soubassement de son œuvre. La lecture de la Bible pendant ses études de théologie irrigue son projet d’écriture sans jamais toutefois l’assigner à une illustration exclusive du sentiment religieux. Dans un monde où les points de repère ont rompu les amarres, où les jeux sociaux modifient le sens même de la vie, la Bible constitue pour notre auteur une constance, une référence, une empreinte indélébile. Nous ne trouverons dans ses romans ni prosélytisme ni défense d’un groupement religieux, même si les références au protestantisme sont parfois présentes. Aussi, dans notre texte, nous ferons également référence à la Bible autant de fois que nous pensons qu’il y a là une source possible d’interprétation de notre part. Et puis il y a bien sûr les mythologies d’Europe dont l’auteur s’est nourri pendant sa jeunesse ; elles parsèment l’œuvre et nous adressent de temps à autre un message, quand le silence devient impossible.
Le lecteur trahit le texte, le critique trahit l’écrivain. Tous deux partagent l’idée que le texte qu’ils ont sous les yeux doit les aider à prendre une route inconnue, vers une destination qui l’est aussi. Comme le personnage principal du Chant de la terre, ils ignorent ce qu’ils cherchent. Ils vont de-ci, de-là, espérant que le Ciel les aidera à trouver un indice sur lequel s’appuyer pour élucider le mystère. C’est donc sans vergogne ni pudeur que je me suis avancé dans l’œuvre de Lee Seung-u, conscient des difficultés de l’interprétation, mais porté par une raisonnable témérité en raison de ma liberté de lecteur et de mon plaisir à redécouvrir chaque lecture – une raison supplémentaire de mettre les textes en résonnance et de leur faire avouer un crime qu’ils n’ont pas commis. L’interprétation est sans fin. Comme le désir qui, une fois satisfait, en creuse un autre. J’ai fait mien ce propos de Kierkegaard à propos de la subjectivité : « Plus on pense de façon objective, moins on existe. »
Avouons-le, la Bible exerce sur moi une fascination toute littéraire. Elle me renvoie à mes toutes jeunes années de patronage paroissial, quand la vie de mon village (Marseille, ville où je suis né, est un assemblage d’anciens villages) tournait encore autour de l’église. Elle était le lieu des assemblées du dimanche. Les jeunes parents qui en ressortaient après avoir baptisé leur chérubin envoyaient à la volée des pièces de quelques centimes sur lesquelles les gamins que nous étions se jetaient avidement⁴ ; les mariés, tout sourire, se faisaient couvrir de grains de riz⁵. Les autres jours, nous jouions au football sur la place, sous la bénédiction des statues de Marie et de Joseph qui encadraient, dans de minuscules jardinets, l’entrée du sanctuaire. Le mercredi, jour sans école, nous avions les cours de catéchisme à l’arrière d’un cinéma du village, dans une salle que je revois en souvenir soixante ans après. Le jeune curé, qui partageait notre amour du football, diffusait chaque semaine un épisode de La Vie de Jésus de Nazareth par un projecteur dont j’ai encore le bruit du moteur dans les oreilles. Je me souviens de la ferveur avec laquelle je découvrais, au-delà de l’aventure religieuse et par-delà les jacasseries de mes camarades, les mille scènes de la vie de Jésus, un « roman » comme je n’en lirai plus jamais. Certes, le bon prêtre vulgarisait la Bible, et les contradictions, les errements, les faits condamnables, n’apparaissaient jamais. Mais que Jésus, si friand de miracles, pût exister me remplissait de projets ! Pour le jeune garçon dont la vie était exclusivement faite de rêveries et de lectures, cette Vie de Jésus, ou plus exactement le texte dont elle était issue⁶, m’ouvrait des perspectives sans fin. Ce n’est que plus tard, à l’occasion de ce présent travail, que je redécouvrirai ce premier roman moderne, cet assemblage disparate de versets, de poèmes, de récits épiques, dans lesquels on retrouve toutes les turpitudes de la vie. Que la Création soit l’affaire de Dieu ou du Tao, peu m’importe. Comme Erri de Luca, grand auteur italien, je lis la Bible en incroyant.
Jean-Claude de Crescenzo
Janvier 2020
1. Lee Seung-u, L’Envers de la vie (trad. Ko Kwang-dan et Jean-Noël Juttet), Zulma, 2000.
2. Lee Seung-u, La Vie rêvée des plantes (trad. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet), Zulma, 2006.
3. Dirigée à l’époque par Noël Dutrait, professeur et grand traducteur de littérature chinoise.
4. Coutume particulièrement vivace en Provence jusque dans les années 1970 environ. Les pièces de monnaie étaient censées protéger l’enfant du mauvais sort. Le parrain était attendu de pied ferme par les enfants, et s’il ne lançait pas suffisamment de monnaie, les enfants chantaient alors en provençal : « O peirin rascous, lou pitchoun vendras gibous » (« Si le parrain est radin, l’enfant deviendra bossu »).
5. Coutume ancestrale issue du monde rural, qui consistait à jeter des graines de céréales, plus tard remplacées par du riz, pour favoriser la prospérité du couple et la fertilité de l’épousée.
6. Quelle source biographique utilisait ce jeune prêtre ? J’étais bien trop enfant pour me poser la question.
I - Promenades en dissimulations
« Il y a dans la dissimulation et dans l’absence une force étrange qui contraint l’esprit à se tourner vers l’inaccessible et à sacrifier pour sa conquête tout ce qu’il possède. »
« Oui, l’ombre a le pouvoir de nous faire lâcher toutes les proies, du seul fait qu’elle est ombre et qu’elle irrite en nous une attente sans nom. »
Jean Starobinski, L’Œil vivant, Gallimard, 1961.
Lee Seung-u entra en littérature par effraction, ne cachant pas dans ses interviews qu’il a commencé à écrire pour imiter son frère jumeau, rédigeant d’abord un journal avant de passer aux textes de fiction. Son frère cessa d’écrire lorsqu’il découvrit que Lee Seung-u écrivait « mieux que lui ». On retrouve cet épisode dans la nouvelle Le Vieux Journal, ou encore, sous une autre forme, dans la préface de L’Envers de la vie, avec cette question lancinante : « Était-ce à moi d’écrire ? » La mise en doute du statut de l’écrivain, et par là même de sa propre place, conditionne son écriture, mais aussi sa discrète position dans le monde littéraire coréen. Mais douter n’est pas s’immobiliser. Lorsque la confirmation de sa vocation interviendra, le doute persistera sans jamais nuire à son œuvre. Lee Seung-u affirme qu’il n’a aucune peine à écrire. Il en donne régulièrement la preuve avec la portée symbolique de