Les 110 étages
Par Pierre Lambert
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À propos de ce livre électronique
Des trottoirs de Pondichéry aux traverses de Marseille, savourez l'histoire de cet homme qui se confie sur ce qu'il est et ce qu'il devient dans un langage qui le caractérise tellement.
Pierre Lambert
Pierre LAMBERT né en 1967, ex-parisien venu s'installer dans le Sud il y a 10 ans, d'abord sur Aix en Provence puis à Marseille en 2017. Passionné d'aéronautique, d'Art, de vins de Bourgogne, fervent amoureux de Marseille, il commence à écrire en 2014 et publie son premier roman en 2019.
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Aperçu du livre
Les 110 étages - Pierre Lambert
À ma fille,
À ma famille,
À mes amours,
« Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été »
Albert Camus
TABLE DES MATIERES
Etage rez-de-jardin (Début)
3ème sous-sol (Jcé)
1er étage (Monde parfait)
3ème étage (Alpha)
7ème étage (Un jardin sur le nil)
8ème étage (Bathroom singer)
9ème étage (Précisions)
10eme étage (Dix cm)
15ème étage (L’ordre & la morale)
18ème étage (Picture of U)
20ème étage (Hurt)
30ème étage (Return ticket)
33ème étage (Heures hindoues)
42ème étage (Triphasé)
43ème étage (Never forget)
50ème étage (Alive )
51ème étage (L’autre reste)
67ème étage (Born in USA)
69ème étage (Erotique)
97ème étage (Brandt rhapsodie)
101ème étage (Station)
102ème étage (Est-ce ainsi)
103ème étage (Tatoo)
104ème étage (Les paradis perdus)
105ème étage (Strong)
106ème étage (Alter égo)
107ème étage (ICU)
108ème étage (Neil Young)
109ème étage (You can’t always get what you want)
110ème étage (Time)
ETAGE REZ-DE-JARDIN (DEBUT)
Je suis parti ce matin. J’ai claqué la porte, puis j’ai donné deux tours de clefs. J’ai caché la clef dans la cage à piafs qui était suspendue aux barreaux de la fenêtre. C’était une habitude qu’on avait décidée depuis qu’on habitait là. J’ai quitté la maison définitivement. C’est le mot fin qui s’inscrit sur une toile en quatre par trois dans ma tête. Je viens de couper mon fil à la patte pour la énième fois. On ne m’enchaîne pas, toutes celles qui ont essayé se sont retrouvées seules un jour, prisonnières de leur propre cage dorée. La maison était plutôt agréable. Située au cœur de la ville, on faisait tout à pied, j’adorais. J’avais pris mes marques rapidement. Je tutoyais les commerçants du quartier, j’avais mes habitudes. On dînait dans les petits restos avec les gosses. Pas besoin de voiture, de plus, il y avait une diversité d’offre gastronomique à prix modiques.
J’avais craqué sur cette demeure. Elle était en vente depuis plus de deux ans, le couple qui l’habitait se séparait. La première fois que j’ai passé la porte d’entrée, j’ai su que plus rien d’autre ne me conviendrait. Les chambres étaient grandes et hautes de plafond. Elles disposaient toutes d’une cheminée en plus d’un parquet à la Versailles, en épi. Un escalier central desservait les pièces sur deux étages. Les combles sous toit avaient été aménagés, cela offrait des capacités de rangements supplémentaires, les gosses seraient ravis. Le salon donnait sur un jardin fermé, une dépendance avait été laissée à l’abandon et devait certainement servir à ranger une tondeuse ou les quelques outils pour entretenir les cinq cents mètres carrés de pelouse et les deux massifs plantés à l’anglaise. Je ferais de ce vieil abri mon atelier d’écriture, j’ai toujours rêvé d’avoir une pièce réservée à mon nouveau métier.
Mon premier roman s’est bien vendu, je n’avais pas prévu ce succès populaire. J’ai écrit mon livre en trois mois. Il rassemblait des souvenirs d’enfance, la difficulté de communiquer avec le monde des adultes, la fragilité d’un être en culotte courte face à ses sentiments, face à la disparition de ses proches. Ce livre parlait de mes amours, d’amour, de la vie tout simplement. J’avais des pensées à poser, comme des fondations, pour me guérir d’un passé trop chargé d’émotions. Je devais me libérer de certains souvenirs, ceux qui par moment vous empêchent d’avancer, ou pire, ceux qui vous font tourner en boucle, comme un vinyle rayé qui répète inlassablement la même chose. Cet exercice d’écriture m’a soigné sans que je coûte de l’argent au contribuable, sans creuser le trou de la sécurité sociale. J’ai envoyé mon manuscrit à un bon nombre de maisons d’éditions sans avoir fondé beaucoup d’espoir de reconnaissance ou même de publication. Ma surprise fut d’autant plus totale qu’un grand éditeur avait fait le pari de surprendre le « métier » pour la rentrée littéraire. L’affaire s’est bouclée en trois mois – contrat d’édition – dossier de presse – distribution. La grande enseigne Parisienne m’a assigné une jeune chargée en communication pour me « préparer » aux futurs bouleversements dans ma vie personnelle. Elle était tout droite sortie d’une grande école de marketing et venait à peine de rentrer de New York où elle avait travaillé durant une année à promouvoir la culture underground de The Big City. Elle se prénommait Evita, ses cheveux châtains coupés au carré semblaient flotter dans l’air. Quand elle tournait la tête brusquement, c’est une vague qui ondulait en découvrant sa nuque parfaite. Je m’amusais à la surprendre, j’étais tombé sous le charme de ce mouvement. Elle débordait d’énergie et d’ingéniosité, elle était brillante et ne voulait pas décevoir, encore moins son boss. J’étais devenu la personne la plus importante, il fallait protéger cet investissement.
Comme je désirais poursuivre mon activité professionnelle, il fallait composer avec mon emploi du temps de chef de projet et celui d’écrivain en herbe. Nombreux sont les écrivains qui déclarent qu’écrire a été leur meilleure thérapie. Je ne démens pas, bien au contraire, j’acquiesce à cent pour cent. J’ai même entendu récemment sur Inter que mon livre devrait être remboursé par la sécurité sociale – beaucoup moins cher que les tarifs « encadrés » des psychiatres et leurs pilules bleues le matin et rouge le soir. Encore un journaliste qui fait dans la provocation pour que ses propos soient repris, déformés voir détournés, tout cela pour qu’on parle de lui. On parlait du livre, Evita trouvait cela très bien et son patron applaudissait.
Trois mois après la rentrée littéraire, je touchais mon premier chèque. J’allais pouvoir quitter mon minuscule appartement de La Défense et trouver une maison avec un jardin. Pas de folie, juste un peu plus de confort et le bonheur de prendre mon petit déjeuner dehors, dès que les températures le permettraient. De plus, les gosses seraient enchantés. On pourrait même prendre un chien bien brave, genre labrador. Je suis sûr que les gamins adoreraient.
Lorsque j’ai visité cette maison la première fois, j’étais seul. Les visites précédentes m’avaient vraiment déçues, l’agent immobilier imaginait certainement qu’il pouvait me vendre n’importe quelle demeure qui rentrait dans mes critères. Il s’était lourdement trompé. Même si l’offre était plutôt rare, je n’étais pas décidé à acheter, j’attendais le coup de cœur, celle qui ferai la différence parmi toutes les autres propositions. C’est sur le net que je l’ai trouvée, dans une ville dont je ne connaissais que le nom et sa situation géographique. Les photos mises en ligne m’ont intriguées, cette baraque avait quelque chose d’atypique et ça me plaisait. Alors, comment vous dire qu’il est étrange de quitter un lieu que l’on a choisi pour abriter une vie rêvée, douce et agréable, maintenant que nous étions à l’abri du besoin. Comme la première fois, je me retrouve seul, devant cette porte fenêtre à petits bois - traveling arrière. Clap de fin.
Je m’appelle Pierre Lambert. C’est commun, comme Dupont ou Martin. J’aime mon prénom, je le préfère à Paul (une Tourtelle) ou encore Sébastien (Seb, c’est bien). J’habite depuis peu de temps Marseille, au Panier. Jadis, ce quartier historique était le repère de la pègre, du grand banditisme élégant, je veux dire – armés comme des flingues de concours sans jamais tirer un seul coup. Depuis l’épisode Marseille – Capitale européenne de la culture et les grands travaux autour du Vieux-Port de la Joliette, ce quartier s’embourgeoise doucement, tendance Bobo mais avec l’accent du sud, on est à Marseille tout de même.
J’ai découvert sur le tard que j’étais plutôt beau gosse comme on dit. Bientôt la cinquantaine, svelte, pas très grand, des cheveux encore fournis et bruns, des yeux noisette. Une tablette de chocolat dessinée sous deux pectoraux encore fermes. Des épaules musclées, une pomme d’Adam absente, un truc de plus qui n’a pas poussé. Je ne suis pas narcissique, je suis juste conscient de ce que dame nature m’a offert en plus d’un savant mélange de mes parents. Richard Gere est largement déclassé, Georges Clooney a perdu ses chaussures, son pantalon, son caleçon et sa bedaine naissante qui trahie une cinquantaine passée, quant à Mister Grey, ses cinquante nuances ne rivalisent pas avec mon pentome.
Je ne suis pas égocentrique, il ne faut pas se fier aux apparences ou s’arrêter aux premières phrases de ce récit. Il m’a fallu des années pour m’accepter tel que je suis, tel que j’étais et surtout d’où je viens. Toute mon enfance, j’ai entendu que je n’étais pas assez grand, que je ne travaillais pas assez bien, qu’il fallait que j’apprenne un métier car je n’étais pas fait pour les études, que les filles m’aimaient bien mais préféraient sortir avec un autre, que je n’avais pas de beaux vêtements, pas de griffes. Non, je n’avais rien de tout ça. Je portais des fringues que j’avais chiné au marché de Clignancourt, un Levis à cinquante francs, des Converse à dix balles, un cuir d’occasion. Tout ce que j’avais était bon marché, usé, commun, tellement commun, presque invisible dans la masse.
Vous avez suffisamment d’imagination pour comprendre ce que moi, ce pauvre gamin, ai enduré pendant ces années ou l’image, l’apparence passe au-dessus de tout. Le parallèle avec une belle plastique est semblable avec la solitude qui vous sépare d’une société qui vous tient à l’écart, qui vous apostrophe pour votre différence. Je préfère de loin le monde animal, d’une part parce que les mâles sont bien plus beaux que les femelles, d’autre part pour la capacité à survivre en milieu hostile. Pour cette dernière raison, je prétends être un lion, un Roi dans cette jungle pour avoir survécu à ces années.
Heureusement, la vie nous offre des moments de grâce, ils sont rares, précieux. C’est une ivresse, comme remonter le périph à 230 km/h à contre sens, en chevauchant une grosse cylindrée. Bizarrement, oui, bizarrement, on se sent invulnérable, porté par une fougue indomptable et capricieuse mais tellement enivrante. Plus forte qu’un T ponch, moins destructrice qu’un rail de coke, cette façon de se sentir unique, privilégié et immortel. Tout ça pour les yeux, le corps ou la voix d’une femme. Eh oui, l’amour toujours. Je ne veux pas d’une petite histoire, je ne serai jamais ton petit chéri. Je veux voir les choses en grand, le ciel est mon plafond, les abysses mon fond. Je ne veux pas forcément une belle histoire, je crois même que je préfère une sale romance. Il faut se salir les mains, tremper le tee-shirt, se décoiffer, se tordre, se rider, s’abîmer aussi. L’amour n’a rien de propre dans sa virginité ou celle qu’on nous fait croire étant gamin. Cela ne veut pas dire qu’il faut se comporter comme un véritable connard et que les femmes sont prêtes à tout avaler. D’ailleurs, elles n’avalent pas. Il y a notre monde, celui que je partage avec vous. Dans notre monde, nous croisons toute sorte de personne, fréquentable ou pas. Je m’intéresse à la partie féminine de ce monde parce que j’aime La Femme. Comme le monde masculin, cette partie est peuplée de différents spécimens. Je trouve les femmes bien plus jolies que les hommes, c’est certainement mon côté hétéro qui parle. Je ne me suis jamais retourné sur un homme, aussi beau puisse-t-il être. J’aime la compagnie des femmes, simples copines ou amoureuses. Les femmes sont extraordinaires, je suis sincère. Elles ont, pour la plupart des femmes que j’ai côtoyées jusqu’ici, et heureusement que les autres sont là, la fâcheuse habitude de rendre complexe un évènement insignifiant.