Manuscrit de l'an trois (1794-1795)
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Manuscrit de 1814, trouvé dans les voitures impériales prises à Waterloo, contenant l'histoire des six derniers mois du règne de Napoléon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationManuscrit de l'an trois (1794-1795) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Manuscrit de l'an trois (1794-1795) - Agathon-Jean-François Fain
Agathon-Jean-François Fain
Manuscrit de l'an trois (1794-1795)
Publié par Good Press, 2022
EAN 4064066338213
Table des matières
PRÉFACE.
CONCORDANCE
COMPOSITION SUCCESSIVE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC PENDANT L’AN III.
PREMIÈRE PARTIE.
CHAPITRE I.
CHAPITRE II.
CHAPITRE III.
CHAPITRE IV.
CHAPITRE V.
CHAPITRE VI.
CHAPITRE VII.
CHAPITRE VIII.
CHAPITRE IX.
CHAPITRE X.
CHAPITRE XI
CHAPITRE XII.
DEUXIEME PARTIE.
CHAPITRE I.
CHAPITRE II.
CHAPITRE III.
CHAPITRE IV.
CHAPITRE V.
CHAPITRE VI.
CHAPITRE VII.
CHAPITRE VIII.
TROISIÈME PARTIE.
CHAPITRE I.
CHAPITRE II.
CHAPITRE III.
CHAPITRE IV.
CHAPITRE V.
CHAPITRE VI.
CHAPITRE VII.
CHAPITRE VIII.
CHAPITRE IX.
§ I er . La remise de Madame, fille de Louis XVI.
§ II. Restitution du territoire conquis.
§ III. La vieille affaire des limites des Pyrénées.
§ IV. Les stipulations en faveur des alliés.
QUATRIÈME PARTIE.
CHAPITRE I.
CHAPITRE II.
CHAPITRE III.
CHAPITRE IV.
CHAPITRE V.
CHAPITRE VI.
CHAPITRE VII.
CHAPITRE VIII.
CINQUIÈME PARTIE.
CHAPITRE I.
CHAPITRE II.
§ I. FRAGMENS
§ II. NÉGOCIATIONS SECRÈTES
§ III. FRAGMENS
CHAPITRE III.
CHAPITRE IV.
CHAPITRE V.
CHAPITRE VI.
CHAPITRE VII.
SUPPLÉMENT.
PIÈCES HISTORIQUES.
§ I. TRAITÉS CONCLUS PAR LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC.
§ II. PIECES OFFICIELLES RELATIVES A LA MORT DU ROI LOUIS XVII.
TABLE ALPHABÉTIQUE
RAISONNÉE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CET OUVRAGE.
00003.jpgPRÉFACE.
Table des matières
CE livre peut être considéré comme une introduction aux temps du Directoire et de l’Empire, sur lesquels le Public semble maintenant reporter son attention avec quelque intérêt. Le récit commence à l’époque qui a suivi le 9 thermidor; ma mémoire ne peut remonter plus loin. C’est le moment où le hasard des temps m’a transporté du collége dans les bureaux de la Convention nationale, et je ne raconte que les événemens dont j’ai été le témoin. Les souvenirs de la première jeunesse ne sont ni les moins sûrs ni les moins sincères. D’ailleurs, ce que je n’ai fait qu’entrevoir alors, j’ai pu dans la suite l’étudier plus mûrement; une circonstance particulière m’en a fait même un devoir. Lorsque le général Bonaparte est arrivé au gouvernement, il a demandé qu’on lui remît un précis des négociations qui avaient précédé sa promotion au commandement de l’armée d’Italie; et ce travail a été la première esquisse de l’ouvrage que je publie aujourd’hui. Ce sera, si l’on veut, l’histoire du Cabinet de l’an trois. — Le Cabinet de l’an trois!... je vois d’ici bien des préventions s’exprimer par un sourire. Y avait-il un Cabinet en l’an trois? Le livre répondra. Au surplus, il est tout simple que jusqu’à présent on en ait douté. Tandis que les affaires politiques se traitaient dans le silence de la nuit, au fond des appartemens démeublés des Tuileries, les révolutions des partis roulaient les unes sur les autres avec autant de rapidité que de bruit. Elles absorbaient toute l’attention de la place publique, et l’histoire contemporaine se remplissait avec une telle abondance des événemens du jour, que les travaux de la nuit n’y pouvaient guères trouver de place. Cette préoccupation des esprits s’est continuée long-temps, et de distractions en distractions, personne n’a plus pensé à la lacune qui était restée en arrière. Il faut le dire aussi: l’habitude de confondre les opérations du gouvernement républicain avec les excès de la Révolution n’a pas peu contribué à prolonger la méprise; et si l’on se rappelle avec quelle adresse ces préventions ont été cultivées, peut-on s’étonner de leur puissance et de leur durée? Quel empressement n’a-t-on pas mis à rapetisser, par le ridicule, les hommes et les travaux que les événemens s’efforçaient de grandir Que de soins pour déguiser, par des expressions détournées, le véritable but des partis et pour dénaturer à leur naissance les moindres relations qui tendaient à s’établir dans la société nouvelle? On a tant dit, tant écrit, tant répété qu’il n’y avait sur les bancs de la Convention que des sots, des fripons ou des bourreaux, qu’il n’est pas étonnant que le jugement de plusieurs générations en soit resté fasciné. A travers tous ces mépris, et par delà tant de fautes et tant de crimes, comment aurait-on deviné de véritables talens, de grands caractères, et tout ce qui peut recommander un Cabinet?
Mais la Restauration a terminé le drame, et l’on peut maintenant mettre de côté les illusions de la scène et la défaveur que certains rôles ont encourue, pour ne plus voir que les acteurs, les appeler par leurs noms, les reconnaître à visage découvert, et faire la part de leur mérite personnel.
Les réputations individuelles commenceront la réhabilitation du groupe d’où elles sont sorties, et peut-être que tel nom fera rejaillir sur cette époque l’éclat qu’il en aurait pu recevoir. Il n’est pas jusqu’à la composition des Bureaux qui n’offre matière à réflexion sur l’injustice des idées qui ont prévalu si long-temps! Ceux qui n’ont lu que les histoires des partis se doutent-ils que les comités du gouvernement avaient pour principaux employés le général Clarke, depuis maréchal de France; le général Dupont, depuis ministre du roi Louis XVIII; M. Reinhard, aujourd’hui ministre de France à Francfort; M. Otto, qui a été l’honneur de la diplomatie française, notamment à Londres et à Vienne; Nugues Saint-Cyr, le compagnon de Suchet; Faypoult, ministre des finances du Directoire et préfet de l’Empire; Gau, conseiller d’état; Aubusson, jusqu’au dernier moment chef de la secrétairerie d’état; Pierre et Chabeuf, les premiers collaborateurs de Frochot à la préfecture de la Seine; Petitot, de l’université ; et tant d’autres?
Sur vingt employés que nous étions, tout au plus, au Comité Militaire, on peut citer Bailly de Monthion, qui est devenu aide-major-général de la grande armée; Courtin, procureur-impérial à Paris; Fréville, aujourd’hui conseiller d’état; Mazoyer, aujourd’hui maître des requêtes; l’adjudant-général Hortode; Grivel, aujourd’hui contre-amiral; etc. Mais il est inutile de pousser plus loin cette nomenclature secondaire. Ce qui mérite l’attention, c’est la liste des membres du comité de Salut Public, qui se sont succédé au timon de l’état, dans ces jours d’orage et de révolution; je l’offre à ceux de mes lecteurs qui seraient curieux de juger les choses d’après les personnes, ou les personnes d’après les choses.
M. Thibaudeau est jusqu’à ce jour le seul des membres du comité de Salut Public qui, je crois, ait publié des mémoires: son volume sur les temps de la Convention offre des tableaux d’une grande vérité ; j’en ai extrait quelques notes qui pourront servir à rapprocher nos deux récits.
Enfin, pour faciliter l’intelligence de mon Manuscrit, j’y ai joint, 1°. une concordance du calendrier républicain avec le calendrier vulgaire pour l’an III, et, 2°. le plan de l’occupation des Tuileries par la Convention nationale a l’époque dont nous allons repasser les événemens.
CONCORDANCE
Table des matières
Du Calendrier républicain avec le Calendrier grégorien pour l’an III de la République.
PREMIER TRIMESTRE.
00004.jpgDEUXIÈME TRIMESTRE.
00005.jpgTROISIÈME TRIMESTRE.
00006.jpgQUATRIÈME TRIMESTRE.
00007.jpgCOMPOSITION SUCCESSIVE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC PENDANT L’AN III.
Table des matières
§ Ier. Le comité est de douze membres, dont le quart se renouvelle tous les mois.
00008.jpg12 COMPOS. DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC.
00009.jpg§ II. A partir du 15 germinal, la composition du Comité est portée à seize membres.
00010.jpgPREMIÈRE PARTIE.
Table des matières
PREMIERES PAROLES DE PAIX.
( Fin de l’an II et commencement de l’an III. )
CHAPITRE I.
Table des matières
LA COALITION SE DIVISE.
( Fin de l’an II. )
LA journée du neuf thermidor vient de faire tomber le masque hideux que la révolution française a porté trop long-temps, et dans le même moment la victoire semble redoubler d’efforts pour rendre à la nouvelle république des traits aussi imposans que glorieux.
Au nord, Jourdan, vainqueur à Fleurus, n’a plus qu’un pas à faire pour rejeter les armées allemandes par-delà le Rhin. Au midi, Dugommier, qui a chassé les Anglais de Toulon, arrive sur les Pyrénées et porte l’attaque aux lieux où les Espagnols n’ont encore trouvé que là défense. Du côté des Alpes, les baïonnettes républicaines couronnent le sommet des derniers monts qui couvrent l’Italie; enfin, par toutes les issues, nos phalanges sont prêtes à déborder sur l’Europe.
Cependant voilà plus de deux ans que presque tous les rois s’obstinent dans cette guerre sanglante. Le moment où les grandes coalitions se divisent, semble n’être plus éloigné. Quand des poids inégaux subissent le même jet, il en reste toujours plus d’un en arrière.... Mais de quels rangs sortiront les premières paroles de paix? Par qui seront-elles portées? Et comment ce comité de Salut Public, à qui l’on fait encore une réputation si farouche, voudra-t-il les entendre?
Nous allons voir la diplomatie des rois, renonçant à ses vieilles allures, s’engager en tâtonnant sur un terrain qui n’est plus celui des palais et des chancelleries; se prêter à des formes nouvelles, entendre un langage nouveau, payer enfin tribut aux temps extraordinaires avec lesquels elle est réduite à s’accommoder; cet épisode est propre à jeter quelque variété dans l’histoire trop monotone des négociations modernes.
Un mois était à peine écoulé depuis la chute de Robespierre, lorsqu’un inconnu se présente à Baden en Suisse, chez le citoyen Barthélemy, ambassadeur de la République française, près les cantons Helvétiques. Il remet un paquet, et disparaît. Ce mystérieux message contient des propositions faites au nom de la Prusse par le feld-maréchal Mollendorf, pour un échange de prisonniers. Quelques insinuations s’y trouvent qui paraissent annoncer le désir d’une pacification.
Peu de jours après, la personne qui a remis ce paquet se fait connaître au citoyen Bâcher, agent de la République à Bâle. C’est un négociant allemand nommé Schmerts, des environs de Francfort. Schmerts finit par s’établir à Bâle, près du citoyen Bacher; il demande, il sollicite une réponse de Paris. En attendant, il n’hésite pas à communiquer les lettres qu’il continue de recevoir du maréchal Mollendorf, relativement à l’échange proposé. Dans ces lettres, on parle des opérations militaires qui se poursuivent sur le Rhin; on assure que les Prussiens ne veulent pas attaquer; on prédit même des mouvemens que les armées autrichiennes essaieront, et qui ne seront pas secondés....
Presque au même moment, à deux cents lieues de là, sur la frontière espagnole, des dispositions semblables se déclarent; le 4 vendémiaire, an III (24 septembre 1794), un trompette arrive au camp de Dugommier.
Dans nos armées, la défiance la plus ombrageuse environne les relations qu’on peut avoir avec l’ennemi. Les généraux savent qu’ils sont soumis à la plus grande surveillance; le temps n’est pas encore loin où leur tête tombait au moindre doute, et rien n’égale leur circonspection. Quand un parlementaire se présente, c’est toujours en public qu’il est admis, et le cartel est lu à haute voix. Dugommier reçoit ainsi le trompette espagnol. Le message a pour objet de transmettre une lettre du citoyen Simonin, payeur de nos prisonniers de guerre à Madrid. Dugommier se hâte d’ouvrir cette seconde enveloppe; une petite branche d’olivier s’offre a sa vue; on l’a glissée dans une incision faite à la marge, et ce n’est qu’à l’aide de ce signe emblématique qu’on peut comprendre le sens de la dépêche: «Si vous faites accueil à ce symbole, » dit Simonin, la personne dont on m’a parlé se
» montrera à découvert.» Les temps passent si vite qu’on ne saurait plus aujourd’hui comment motiver cette extrême réserve d’expression dans la communication dont Simonin s’est chargé. Il faut se rappeler la position particulière où la Convention nationale s’est placée depuis quelques mois à l’égard de l’Espagne. Un décret défend sous peine de mort de parler de paix avec cette puissance, tant que les généraux espagnols n’auront pas donné satisfaction de la capitulation violée à Collioure. On est sous le poids de cette terrible défense. Non-seulement Simonin craint de parler, mais Dugommier lui-même craint d’entendre. Il s’empresse de déposer cette inquiétante communication entre les mains d’un représentant du peuple, qui est en mission près de son armée; ce représentant, c’est Delbrel, de la Corrèze. Celui-ci commence par dicter à Dugommier la réponse qu’il doit faire à Simonin. Avant de rien écouter, on y réclame l’exécution de la capitulation de Collioure. Delbrel en refère ensuite au comité de Salut Public.
Ainsi, les premières ouvertures arrivent presque en même temps de la part de la Prusse et de l’Espagne. Suivons-les au comité de Salut Public.
CHAPITRE II.
Table des matières
LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC SE RENOUVELLE.
L’ANCIEN comité de Salut Public avait posé en principe que la politique de la France regénérée ne devait se faire qu’à coups de canon. Dans ce système, si quelques hommes ne se sont pas montrés absolument contraires à l’idée d’une pacification avec des rois, c’est qu’ils ont entrevu dans les traités un nouveau moyen de guerre plus puissant peut-être que celui des armes. «Chaque roi qui s’unira à nous, disait-on alors,
» viendra lui-même se consumer aux rayons sacrés
» de la liberté, et de ses propres mains, il
» ouvrira le tombeau de sa tyrannie. Que ce motif
» philanthropique nous rende moins odieuses des
» négociations avec un roi, et puisque la paix est
» nécessaire à la propagation de nos principes,
» ne craignons pas de voir si l’intérêt des despotes
» peut concorder momentanément avec nos grandes
» vues révolutionnaires.» On avait donc ouvert la porte aux négociations, dès le 13 avril 1794, en déclarant que l’unité et l’indivisibilité de la République serait la condition nécessaire de tout préliminaire de paix.
Aujourd’hui, cette porte des négociations pourrait s’entr’ouvrir avec plus de loyauté. La fierté républicaine est toujours aigre; mais quelque influence que l’exaltation révolutionnaire conserve encore sur les esprits les plus sages, un retour progressif ramène évidemment vers des idées politiques moins exclusives. Le comité de Salut Public n’est plus le même; Barrère, Collot d’Herbois et Billaud de Varennes en sont sortis, il ne reste de l’ancienne composition décemvirale que Carnot, Prieur de la Côte-d’Or, et Robert-Lindet. Les nouveaux membres introduits au gouvernement sont Eschasseriaux, Treilhard, Laloi, Thuriot, Cochon, Bréard, Merlin de Douay, Fourcroy et Delmas. Tous les mois, trois d’entre eux sortiront pour faire place à trois autres; nous venons de les nommer dans l’ordre de rotation qui les rappellera au sein de la Convention nationale.
Tel est le comité qui a sous les yeux la dépêche de Barthélemy, les bulletins de Bacher et l’olivier de Simonin.
CHAPITRE III.
Table des matières
PREMIÈRES DÉLIBÉRATIONS DU CABINET DES TUILERIES SUR LES NÉGOCIATIONS QUI SE PRÉPARENT.
( Vendémiaire an III. )
LA proposition qui vient de la Prusse n’a pour objet avoué qu’un cartel d’échange. Doit-on se presser d’y trouver autre chose? Pour entrer avec avantage dans des pourparlers plus sérieux, ne faudrait-il pas encore attendre? Une opinion dont la popularité est imposante, et qui voit chaque jour le nombre de ses partisans s’accroître dans le sein de la Convention, s’élève pour demander que le cours du Rhin soit réservé comme limite définitive à la République. Mais comment déclarer cette grande prétention, avant que le progrès de nos armes nous ait rendus entièrement maîtres et possesseurs du territoire dont il s’agit, et des forteresses qui en sont la clef? Nous bloquons Luxembourg; mais le siège en est à peine commencé, et nous ne sommes pas encore devant Mayence. Une négociation prématurée avec la Prusse pourrait donc faire avorter des espérances que plus tard la valeur de nos soldats promet de réaliser;... et qui sait d’ailleurs si la Prusse, en se mettant en avant, ne cherche pas à détourner, par des trêves et par de vaines négociations, un dénoûment qui doit coûter si cher à ses confédérés? Des dissentimens viennent d’éclater, dit-on, entre le général prussien Mollendorf et le général autrichien Clerfayt. On assure que les Prussiens font mine de vouloir manœuvrer à part; mais cette brouille entre les chefs militaires est-elle bien sérieuse entre les cabinets? Enfin, s’il est vrai que l’aigreur fermente entre ces deux alliés, ne convient-il pas de lui laisser prendre un degré de chaleur qui ne permette plus aux tiers de l’étouffer? Il ne faut rien moins qu’une scission éclatante entre l’Autriche et la Prusse pour amener cette dernière puissance sur le terrain où l’attend la France nouvelle.
Des considérations plus graves encore surviennent et concourent à suspendre l’effet du premier mouvement qui portait le comité de Salut Public à répondre favorablement à la Prusse. Les patriotes polonais viennent de bondir sous le joug qui semblait les tenir abattus. Ils ont couru aux armes; Kocziusko, Zayonscheck, Dombrowski, Joseph Poniatowski, et d’autres braves dont le nom ne mourra pas, sont à leur tête, et les voilà qui tentent de généreux efforts pour renverser les poteaux insolens du dernier partage! Déjà les gouverneurs prussiens de Thorn et de Dantzick ont pris l’alarme, et l’attention du cabinet de Berlin est brusquement rappelée de ce côté. Est-ce dans un tel moment que nous irons traiter avec la Prusse, pour lui donner moyen de reporter en Pologne les troupes qu’elle a sur le Rhin? Nous, qui voudrions secourir par toutes les diversions possibles l’entreprise des Polonais, et qui les encourageons du moins de tous nos vœux commettrons-nous la faute grossière d’accroître le nombre de leurs assaillans, en prêtant l’oreille à des négociation aussi intempestives?
Après avoir mûrement réfléchi, le Comité croit devoir se garder d’un trop grand empressement à répondre aux désirs de la Prusse. On attendra que les événemens mieux connus ne permettent plus de doutes sur les véritables intentions de cette puissance. Mais du côté de l’Espagne, rien n’empêche de voir dès à présent si l’on peut s’entendre.
On n’ignore pas que le Cabinet de Madrid pourrit un profond mécontentement contre celui de Londres. Leur mésintelligence a éclaté ouvertement dans Toulon. Quant aux autres coalisés, l’Espagne, qui ne s’est laissé aller au parti de la guerre que pour exécuter fidèlement son pacte de famille, n’a pas tardé à s’apercevoir que leur politique n’était pas aussi désintéressée que la sienne. Depuis que l’Autriche à fait placer ses Aigles sur les portes de Valenciennes, et que le roi d’Angleterre a pris pour lui la souveraineté de la Corse, il est évident qu’on n’a plus d’autre but que de s’indemniser, par la dépouille de la France, de la vaine démonstration qu’on avait risquée d’abord pour la cause de la royauté. Les politiques de Madrid commencent donc à s’apercevoir que chaque vaisseau français pris ou coulé, que chaque matelot français tué ou fait prisonnier compromet d’autres intérêts que ceux de la France, et qu’en définitive chaque coup porté à cette alliée naturelle a son contre-coup sur l’Espagne. Ce ressentiment triomphera-t-il enfin des affections et des liens de famille?
Les membres du comité de Salut Public ont eux-mêmes à triompher de leurs préventions révolutionnaires contre une branche de la maison de Bourbon. Toutefois, ils se sentent disposés à mettre de côté leur antipathie personnelle, s’il leur est permis de ne plus voir dans les Bourbons d’Espagne que des ennemis de l’Angleterre. Simonin est donc autorisé à entendre les propositions qu’on veut faire passer par son intermédiaire, et déjà le Comité est impatient de connaître toute la pensée de l’Espagne!
CHAPITRE IV.
Table des matières
PRÉTENTIONS DE L’ESPAGNE,
( Fin de vendémiaire. )
SI le comité de Salut Public est pressé, il n’en est pas de même des Représentans près l’armée des Pyrénées-Orientales; Vidal et Delbrel, qui sont chargés de transmettre à Madrid l’autorisation donnée, à Simonin, pensent que trop d’empressement dans cette affaire pourrait être considéré comme une espèce d’avance: or, disent-ils, une grande nation n’en doit pas faire à des esclaves vaincus! Ils étaient donc résolus à laisser venir une occasion. Heureusement cette occasion ne tarde pas à s’offrir. Les ordres du comité de Salut Public sont du 16 vendémiaire, et le 24, un parlementaire espagnol apporte au camp une lettre de Simonin qui, cette fois, se borne à exprimer combien on regrette à Madrid de nous voir nous obstiner dans les souvenirs de l’affaire de Collioure. Le parlementaire s’en retourne avec la décision du Comité qui passe par dessus les récriminations de Vidal et de Delbrel.
A la réception presque inespérée de cette décision, Simonin se transporte auprès de la personne qui lui sert d’intermédiaire avec le Cabinet espagnol. On lui déclare aussitôt qu’on est disposé à traiter sur les bases suivantes: 1°. L’Espagne reconnaîtra le système actuel du gouvernement français; 2°. La France remettra les enfans de Louis XVI à l’Espagne; 3°. Les provinces françaises limitrophes de l’Espagne seront cédées au fils de Louis XVI, qui les gouvernera souverainement et en roi.
Simonin transmet purement et simplement cette proposition. Sa lettre est du 14 brumaire ( 4 novembre 1794). A peine les Représentans près l’armée des Pyrénées l’ont-ils décachetée, que leur colère éclaté : Simonin est, un homme beaucoup trop officieux! s’écrient-ils, et sur-le-champ, ils prennent un arrêté pour faire cesser de telles communications, motivant cette mesure sur ce qu’entre des républicains et des esclaves, il ne doit y avoir d’autre correspondance que celle du canon et de la baïonnette!
Le comité de Salut Public est de l’avis de Vidal et Delbrel. Il s’étonne à son tour qu’un Français ait pu tracer les lignes dictées par le ministre espagnol. «Prenez des mesures, écrit-il
» aux représentans près l’armée des Pyrenées
» Orientales, pour faire revenir sur-le-champ
» Simonin. Il compromet à Madrid la dignité
» du Peuple Français.»
Cette première lueur de négociation s’est donc éteinte presque au moment où l’on venait de l’apercevoir; mais les succès de nos armes peuvent remédier à ce premier échec; ils prennent de jour en jour un accroissement tel qu’ils doivent combler tôt ou tard l’intervalle qui sépare encore les deux termes de la négociation.
CHAPITRE V.
Table des matières
DERNIÈRES OPÉRATIONS DE LA CAMPAGNE D’AUTOMNE
( Brumaire. )
LES quatre places du nord, Condé, Valenciennes, Le Quesnoy et Landrecies, où les Autrichiens ont laissé des corps d’armée pour garnisons, viennent de capituler. La forteresse de Bellegarde, que les Espagnols occupaient encore sur les frontières des Pyrénées, nous est également rendue. Ainsi, l’expulsion des étrangers est consommée. Carnot, qui, à travers les discordes civiles, a consacré ses veilles dans le Comité à ménager ce grand résultat, éprouve la satisfaction de l’annoncer lui-même à la tribune au moment où l’expiration de ses pouvoirs le fait rentrer dans les bancs de l’assemblée. Des réjouissances sont ordonnées. Condé s’appellera Nord-Libre; Bellegarde sera Sud-Libre. Le président de la Convention nationale, Cambacérès, élevant la voix devant le peuple réuni au Champ-de-Mars pour célébrer la fête des Victoires, proclame, le 30 vendémiaire, que le territoire de la République est délivré !
Rien n’arrête plus les justes représailles qui vont transporter la guerre sur le territoire étranger. Déjà les troupes légères de Moreau, de Souham, de Vandamme et de Reynier ont atteint la rive gauche du Vahal et du Rhin; leur général en chef, Pichegru, reçoit l’ordre d’avancer avec le reste de ses forces sur la Hollande.
Jourdan a franchi la Meuse; il a battu l’armée autrichienne dans les champs de Juliers. Il est entré à Cologne; l’Electeur s’est réfugié à Vienne, où l’électeur de Trêves l’a précédé ; et tandis que Lefevre, Championnet, Kleber et Bernadotte distribuent leurs soldats sur cette partie des rives du Rhin, les forteresses de l’intérieur du pays, enveloppées dans cette rapide invasion, tombent les unes après les autres. Juliers, Venloo, Nimègue, Maestricht, Rhinfeldt, ont baissé leurs ponts-levis. La Convention fait attacher aux voûtes de la salle de ses séances trente-six drapeaux qui viennent de lui être présentés par l’adjudant-général Pajol, aide-de-camp de Kleber. Pour achever la conquête de tout le pays qui s’étend entre la France et le Rhin, il ne reste plus qu’à forcer les portes de Luxembourg et de Mayence.
Déjà l’approche de nos armées a porté la fermentation parmi les peuples qui sont au delà du fleuve. Les princes du nord de l’Allemagne ont tourné leurs regards vers la Prusse, et semblent décidés à suivre l’impulsion que cette puissance donnera. Dès le 3 octobre (12 vendémiaire) le roi de Prusse écrivait en ces termes au Landgrave de Hesse-Cassel: «La crise dangereuse dans laquelle
» se trouve notre pays est d’autant plus
» sensible à mon cœur qu’elle menace les princes
» mes parens, qui me sont infiniment chers;
» et je suis intimement convaincu que, dans la
» tournure malheureuse que cette guerre a prise,
» la seule voie pour préserver l’Allemagne de sa
» ruine totale, est la paix!»
L’antique Diète de Ratisbonne elle-même a ressenti par contre-coup des émotions pacifiques. Le 13 octobre ( 22 vendémiaire) l’envoyé de Bavière y demandait qu’on s’occupât de négocier un traité honorable. Quelques jours après, l’Électeur de Mayence faisait parler dans le même sens. Le Margrave de Bade et l’Électeur de Saxe essayaient le même avis. Sur ce terrain, l’influence de la Prusse grandit chaque jour, et l’internonce impérial en est réduit à de vains-efforts pour la contrebalancer
La dissidence survenue entre la politique de Berlin et celle de Vienne, se développe dans les camps du Rhin, aussi-bien qu’à Ratisbonne. Non-seulement la Prusse a rappelé vingt mille hommes sur ses frontières de Pologne, mais elle vient encore d’affaiblir son armée du Rhin par un détachement de douze mille soldats, qu’elle emploie à couvrir ses états de Westphalie. D’autres détachemens se préparent à suivre les premiers, et la forteresse de Mayence voit se dégarnir les lignes qui doivent la défendre. En Suisse, on ne parle que de la singulière réponse du général en chef prussien Mollendorf à un député badois, qui lui demandait un sauf-conduit pour des voitures de grains:
«Si je vous le donnais, a dit le maréchal, il ne
» serait pas reconnu par les postes autrichiens.»
Les communications que le général prussien entretient à Bâle avec l’agent de la République, sont plus actives que jamais. Le négociant Schmertz est toujours auprès du citoyen Bâcher. Le major Mayenrinck, adjudant-général de Mollendorf vient de l’y rejoindre, et il est muni des pouvoirs de son chef pour traiter de l’échange des prisonniers, ainsi