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Jean Racine: Intégrale des œuvres
Jean Racine: Intégrale des œuvres
Jean Racine: Intégrale des œuvres
Livre électronique1 283 pages13 heures

Jean Racine: Intégrale des œuvres

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• Guy de Maupassant
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• Émile Zola• Guillaume Apollinaire• Henri Bergson• Honoré de Balzac• Charles Baudelaire• Homère• Pierre de Marivaux• Marcel Proust
LangueFrançais
Date de sortie26 janv. 2016
ISBN9782807400221
Jean Racine: Intégrale des œuvres
Auteur

Jean Racine

Jean Racine, né le 22 décembre 1639 à La Ferté-Milon et mort le 21 avril 1699 à Paris, est un dramaturge et poète français. Issu d'une famille de petits notables de la Ferté-Milon et tôt orphelin, Racine reçoit auprès des « Solitaires » de Port-Royal une éducation littéraire et religieuse rare.

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    Aperçu du livre

    Jean Racine - Jean Racine

    Couverture

    Note de l'éditeur

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    Biographie de l'auteur

    Jean Racine, ou la tragédie au XVIIe siècle 

    Le style magistral et le succès des tragédies de Jean Racine suffirent à eux seuls à détrôner l’irremplaçable Corneille. Soutenu et apprécié par le Roi-Soleil, Racine marqua le théâtre du XVIIe siècle en s’inspirant de la mythologie grecque pour façonner des personnages déchirés par leurs passions. Il représente aujourd’hui l’archétype de la tragédie classique.

    Jean Racine naît à La Ferté-Milon le 22 décembre 1639, au sein d’une famille influente. Très jeune, il perd sa mère et son père, et ce sont alors ses grands-parents paternels qui l’hébergent. Avec une éducation encadrée par le groupe des Solitaires de Port-Réal, il reçoit une culture religieuse et littéraire. Il poursuit ensuite sa scolarité au collège de Beauvais puis étudie deux ans la philosophie au collège d’Harcourt. Tout au long de ses études, il sera entouré d’excellents pédagogues : Racine est un fin connaisseur des langues classiques, mais aussi de l’italien et de l’espagnol, et se distingue par son extrême politesse et sa courtoisie. 

    Vers dix-huit ans, Racine compose ses premiers vers, dans la tradition du style galant. Il écrit également sa première pièce de théâtre, qui ne sera pas acceptée par le directeur du théâtre du Marais. L’année suivante, il s’essaye une nouvelle fois à l’écriture dramatique et propose son texte à la troupe de l’Hôtel de Bourgogne. Les avis sont favorables, mais gravement malade, il ne peut finir la rédaction. Racine profite de son long rétablissement pour se vouer à la littérature. Il rédige de nouveaux vers, notamment un poème apologétique Ode sur la Convalescence du Roi, suite à une rougeole contractée par Louis XIV. Les gratifications royales viennent appuyer le succès du texte et de l’attention que lui porte alors le monarque. Reconnaissant, Racine compose La Renommée aux Muses, qui lui permet d’être présenté au duc de Saint-Aignan, et officiellement à Louis XIV.

    C’est à cette époque qu’il écrit sa première tragédie, intitulée La Thébaïde. Jouée par la troupe de Molière au Palais-Royal en 1664, la pièce connaît un accueil discret. Cependant, Racine triomphe l’année suivante avec Alexandre le Grand. Il décide ensuite de confier l’oeuvre à la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, déclenchant ainsi une concurrence directe avec la troupe du Roi. Les bénéfices de celle-ci déclinent considérablement, provoquant une discorde permanente entre Molière et Racine. Profitant de l’appui du roi, ce dernier confie de nouvelles tragédies à la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, marquant ainsi une période prolifique couronnée par les succès. Pour ses créations, il s’inspire de l’Antiquité, rivalisant avec Corneille, notamment pour Bérénice. Andromaque (1667), Britannicus (1669), Mithridate (1673), Iphigénie (1674) ou encore Phèdre (1677) illustrent ces influences. Chacune de ces pièces remplit les idéaux de la tragédie classique : en observant minutieusement les unités de temps et de lieu, Racine renforce la dimension tragique de ses oeuvres. Les analyses psychologiques, la rythmique des vers ainsi qu’une action serrée accentuent la passion à laquelle les personnages royaux sont en proie. Avec pour seul destin l’issue fatale, Racine réussit à faire sensation auprès de ses spectateurs et à exploiter les enseignements jansénistes dans sa littérature.

    Après avoir été élu à l’Académie française en 1672, Racine occupe une place de choix à Versailles et devient l’historiographe du Roi-Soleil. Malheureusement, son travail titanesque fut ravagé lors d’un incendie. A quelques reprises, le dramaturge renouera pourtant avec le théâtre. A la demande de Madame de Maintenon, il écrit Esther (1689) et Athalie (1691), des pièces destinées à être accompagnées musicalement. C’est alors une véritable consécration, garantissant à Racine un confort financier et éclipsant définitivement Corneille. Auréolé de gloire, Racine meurt à Paris le 21 avril 1699.

    Ses œuvres principales

    Alexandre le Grand, 1665

    Andromaque, 1667

    Britannicus, 1669

    Bérénice, 1670

    Bajazet, 1672

    Iphigénie, 1674

    Phèdre, 1677

    Esther, 1689

    Athalie, 1691

    Quelques citations

    « Qu'une âme généreuse est facile à séduire ! »

    Alexandre le Grand, 1665

    « Je crains votre silence, et non pas vos injures. »

    Andromaque, 1667

    « J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer. »

    Britannicus, 1669

    « Vous êtes empereur, seigneur, et vous pleurez ! »

    Bérénice, 1670

    « Le conseil le plus prompt est le plus salutaire. »

    Bajazet, 1672

    « Un bienfait reproché tient toujours lieu d'offense. »

    Iphigénie, 1674

    « On ne peut vaincre sa destinée. »

    Phèdre, 1677

    « Les malheurs sont souvent enchaînés l'un à l'autre. »

    Esther, 1689

    « Elle flotte, elle hésite : en un mot, elle est femme. »

    Athalie, 1691

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    La Thébaïde

    ou Les Frères Ennemis

    Tragédie en 5 Actes (1664)

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    À Monseigneur Le duc de Saint-Aignan, Pair de France

    MONSEIGNEUR,

    Je vous présente un ouvrage qui n’a peut-être rien de considérable que l’honneur de vous avoir plu. Mais véritablement cet honneur est quelque chose de si grand pour moi que, quand ma pièce ne m’aurait produit que cet avantage, je pourrais dire que son succès aurait passé mes espérances. Et que pouvais-je espérer de plus glorieux que l’approbation d’une personne qui sait donner aux choses un juste prix, et qui est lui-même l’admiration de tout le monde ? Aussi, MONSEIGNEUR, si la Thébaïde a reçu quelques applaudissements, c’est sans doute qu’on n’a pas osé démentir le jugement que vous avez donné en sa faveur ; et il semble que vous lui ayez communiqué ce don de plaire qui accompagne toutes vos actions. J’espère qu’étant dépouillée des ornements du théâtre, vous ne laisserez pas de la regarder encore favorablement. Si cela est, quelques ennemis qu’elle puisse avoir, je n’appréhende rien pour elle, puisqu’elle sera assurée d’un protecteur que le nombre des ennemis n’a pas accoutumé d’ébranler. On sait, MONSEIGNEUR, que si vous avez une parfaite connaissance des belles choses, vous n’entreprenez pas les grandes avec un courage moins élevé, et que vous avez réuni en vous ces deux excellentes qualités qui ont fait séparément tant de grands hommes. Mais je dois craindre que mes louanges ne vous soient aussi importunes que les vôtres m’ont été avantageuses : aussi bien, je ne vous dirais que des choses qui sont connues de tout le monde, et que vous seul voulez ignorer. Il suffit que vous me permettiez de vous dire, avec un profond respect, que je suis,

    MONSEIGNEUR,

    Votre très humble et très obéissant serviteur,

    RACINE.

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    Préface

    Le lecteur me permettra de lui demander un peu plus d’indulgence pour cette pièce que pour les autres qui la suivent ; j’étais fort jeune quand je la fis. Quelques vers que j’avais faits alors tombèrent par hasard entre les mains de quelques personnes d’esprit ; elles m’excitèrent à faire une tragédie, et me proposèrent le sujet de la Thébaïde. Ce sujet avait été autrefois traité par Rotrou, sous le nom d’Antigone. Mais il faisait mourir les deux frères dès le commencement de son troisième Acte. Le reste était, en quelque sorte, le commencement d’une autre tragédie, où l’on entrait dans des intérêts tout nouveaux ; et il avait réuni en une seule pièce deux actions différentes, dont l’une sert de matière aux Phéniciennes d’Euripide, et l’autre à l’Antigone de Sophocle. Je compris que cette duplicité d’action avait pu nuire à sa pièce qui, d’ailleurs, était remplie de quantité de beaux endroits. Je dressai à peu près mon plan sur les Phéniciennes d’Euripide. Car pour la Thébaïde qui est dans Sénèque, je suis un peu de l’opinion d’Heinsius, et je tiens, comme lui, que non seulement ce n’est point une tragédie de Sénèque, mais que c’est plutôt l’ouvrage d’un déclamateur qui ne savait ce que c’était que tragédie.

    La catastrophe de ma pièce est peut-être un peu trop sanglante. En effet, il n’y paraît presque pas un Acteur qui ne meure à la fin. Mais aussi c’est la Thébaïde, c’est-à-dire le sujet le plus tragique de l’antiquité.

    L’amour, qui a d’ordinaire tant de part dans les tragédies, n’en a presque point ici ; et je doute que je lui en donnasse davantage si c’était à recommencer, car il faudrait, ou que l’un des deux frères fût amoureux, ou tous les deux ensemble. Et quelle apparence de leur donner d’autres intérêts que ceux de cette fameuse haine qui les occupait tout entiers ? Ou bien il faut jeter l’amour sur un des seconds personnages, comme j’ai fait ; et alors cette passion, qui devient comme étrangère au sujet, ne peut produire que de médiocres effets. En un mot, je suis persuadé que les tendresses ou les jalousies des amants ne sauraient trouver que fort peu de place parmi les incestes, les parricides, et toutes les autres horreurs qui composent l’histoire d’Œdipe et de sa malheureuse famille.

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    Personnages

    Étéocle, roi de Thèbes.

    Polynice, frère d’Étéocle.

    Jocaste, mère de ces deux princes et d’Antigone.

    Antigone, sœur d’Étéocle et de Polynice.

    Créon, oncle des princes et de la princesse.

    Hémon, fils de Créon, amant d’Antigone.

    Olympe, confidente de Jocaste.

    Attale, confident de Créon.

    Un soldat de l’armée de Polynice.

    Gardes.

    La scène est à Thèbes, dans une salle du Palais royal.

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    Acte I

    Scène 1

    Jocaste, Olympe.

    Jocaste

    Ils sont sortis, Olympe ? Ah ! mortelles douleurs !

    Qu’un moment de repos me va coûter de pleurs !

    Mes yeux depuis six mois étaient ouverts aux larmes

    Et le sommeil les ferme en de telles alarmes ?

    Puisse plutôt la mort les fermer pour jamais,

    Et m’empêcher de voir le plus noir des forfaits !

    Mais en sont-ils aux mains ?

    Olympe

    Du haut de la muraille

    Je les ai vus déjà tous rangés en bataille ;

    J’ai vu déjà le fer briller de toutes parts ;

    Et pour vous avertir j’ai quitté les remparts.

    J’ai vu, le fer en main, Étéocle lui-même ;

    Il marche des premiers, et d’une ardeur extrême

    Il montre aux plus hardis à braver le danger.

    Jocaste

    N’en doutons plus, Olympe, ils se vont égorger.

    Que l’on coure avertir et hâter la princesse ;

    Je l’attends. Juste ciel, soutenez ma faiblesse !

    Il faut courir, Olympe, après ces inhumains ;

    Il les faut séparer, ou mourir par leurs mains.

    Nous voici donc, hélas ! à ce jour détestable

    Dont la seule frayeur me rendait misérable !

    Ni prière ni pleurs ne m’ont de rien servi,

    Et le courroux du sort voulait être assouvi.

    Ô toi, soleil, ô toi qui rends le jour au monde,

    Que ne l’as-tu laissé dans une nuit profonde !

    À de si noirs forfaits prêtes-tu tes rayons ?

    Et peux-tu sans horreur voir ce que nous voyons ?

    Mais ces monstres, hélas ! ne t’épouvantent guères :

    La race de Laïus les a rendus vulgaires ;

    Tu peux voir sans frayeur les crimes de mes fils,

    Après ceux que le père et la mère ont commis.

    Tu ne t’étonnes pas si mes fils sont perfides,

    S’ils sont tous deux méchants, et s’ils sont parricides ;

    Tu sais qu’ils sont sortis d’un sang incestueux,

    Et tu t’étonnerais s’ils étaient vertueux.

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    Scène 2

    Jocaste, Antigone, Olympe.

    Jocaste

    Ma fille, avez-vous su l’excès de nos misères ?

    Antigone

    Oui, Madame : on m’a dit la fureur de mes frères.

    Jocaste

    Allons, chère Antigone, et courons de ce pas

    Arrêter, s’il se peut, leurs parricides bras.

    Allons leur faire voir ce qu’ils ont de plus tendre ;

    Voyons si contre nous ils pourront se défendre,

    Ou s’ils oseront bien, dans leur noire fureur,

    Répandre notre sang pour attaquer le leur.

    Antigone

    Madame, c’en est fait, voici le roi lui-même.

    img-03

    Scène 3

    Jocaste, Étéocle, Antigone, Olympe.

    Jocaste

    Olympe, soutiens-moi, ma douleur est extrême.

    Étéocle

    Madame, qu’avez-vous ? et quel trouble…

    Jocaste

    Ah, mon fils !

    Quelles traces de sang vois-je sur vos habits ?

    Est-ce du sang d’un frère ? ou n’est-ce point du vôtre ?

    Étéocle

    Non, Madame, ce n’est ni de l’un ni de l’autre.

    Dans son camp jusqu’ici Polynice arrêté,

    Pour combattre à mes yeux ne s’est point présenté.

    D’Argiens seulement une troupe hardie

    M’a voulu de nos murs disputer la sortie :

    J’ai fait mordre la poudre à ces audacieux,

    Et leur sang est celui qui paraît à vos yeux.

    Jocaste

    Mais que prétendiez-vous ? et quelle ardeur soudaine

    Vous a fait tout à coup descendre dans la plaine ?

    Étéocle

    Madame, il était temps que j’en usasse ainsi,

    Et je perdais ma gloire à demeurer ici.

    Le peuple, à qui la faim se faisait déjà craindre,

    De mon peu de vigueur commençait à se plaindre,

    Me reprochant déjà qu’il m’avait couronné,

    Et que j’occupais mal le rang qu’il m’a donné.

    Il le faut satisfaire ; et quoi qu’il en arrive,

    Thèbes dès aujourd’hui ne sera plus captive :

    Je veux, en n’y laissant aucun de mes soldats,

    Qu’elle soit seulement juge de nos combats.

    J’ai des forces assez pour tenir la campagne,

    Et si quelque bonheur nos armes accompagne,

    L’insolent Polynice et ses fiers alliés

    Laisseront Thèbes libre, ou mourront à mes pieds.

    Jocaste

    Vous pourriez d’un tel sang, ô ciel ! souiller vos armes ?

    La couronne pour vous a-t-elle tant de charmes ?

    Si par un parricide il la fallait gagner,

    Ah ! mon fils, à ce prix voudriez-vous régner ?

    Mais il ne tient qu’à vous, si l’honneur vous anime,

    De nous donner la paix sans le secours d’un crime,

    Et de votre courroux triomphant aujourd’hui,

    Contenter votre frère, et régner avec lui.

    Étéocle

    Appelez-vous régner partager ma couronne,

    Et céder lâchement ce que mon droit me donne ?

    Jocaste

    Vous le savez, mon fils, la justice et le sang

    Lui donnent, comme à vous, sa part à ce haut rang.

    Œdipe, en achevant sa triste destinée,

    Ordonna que chacun régnerait son année ;

    Et n’ayant qu’un état à mettre sous vos lois,

    Voulut que tour à tour vous fussiez tous deux rois.

    À ces conditions vous daignâtes souscrire.

    Le sort vous appela le premier à l’empire,

    Vous montâtes au trône ; il n’en fut point jaloux ;

    Et vous ne voulez pas qu’il y monte après vous !

    Étéocle

    Non, Madame, à l’empire il ne doit plus prétendre.

    Thèbes à cet arrêt n’a point voulu se rendre ;

    Et lorsque sur le trône il s’est voulu placer,

    C’est elle, et non pas moi, qui l’en a su chasser.

    Thèbes doit-elle moins redouter sa puissance,

    Après avoir six mois senti sa violence ?

    Voudrait-elle obéir à ce prince inhumain,

    Qui vient d’armer contre elle et le fer et la faim ?

    Prendrait-elle pour roi l’esclave de Mycène,

    Qui pour tous les Thébains n’a plus que de la haine,

    Qui s’est au roi d’Argos indignement soumis

    Et que l’hymen attache à nos fiers ennemis ?

    Lorsque le roi d’Argos l’a choisi pour son gendre,

    Il espérait par lui de voir Thèbes en cendre.

    L’amour eut peu de part à cet hymen honteux,

    Et la seule fureur en alluma les feux.

    Thèbes m’a couronné pour éviter ses chaînes,

    Elle s’attend par moi de voir finir ses peines.

    Il la faut accuser si je manque de foi ;

    Et je suis son captif, je ne suis pas son roi.

    Jocaste

    Dites, dites plutôt, cœur ingrat et farouche,

    Qu’auprès du diadème il n’est rien qui vous touche.

    Mais je me trompe encore : ce rang ne vous plaît pas,

    Et le crime tout seul a pour vous des appas.

    Eh bien ! puisqu’à ce point vous en êtes avide,

    Je vous offre à commettre un double parricide :

    Versez le sang d’un frère ; et si c’est peu du sien,

    Je vous invite encore à répandre le mien.

    Vous n’aurez plus alors d’ennemis à soumettre,

    D’obstacle à surmonter, ni de crime à commettre,

    Et n’ayant plus au trône un fâcheux concurrent,

    De tous les criminels vous serez le plus grand.

    Étéocle

    Eh bien, Madame, eh bien ! il faut vous satisfaire ;

    Il faut sortir du trône et couronner mon frère ;

    Il faut, pour seconder votre injuste projet,

    De son roi que j’étais devenir son sujet,

    Et pour vous élever au comble de la joie,

    Il faut à sa fureur que je me livre en proie ;

    Il faut par mon trépas…

    Jocaste

    Ah ciel ! quelle rigueur !

    Que vous pénétrez mal dans le fond de mon cœur !

    Je ne demande pas que vous quittiez l’empire :

    Régnez toujours, mon fils, c’est ce que je désire.

    Mais si tant de malheurs vous touchent de pitié,

    Si pour moi votre cœur garde quelque amitié,

    Et si vous prenez soin de votre gloire même,

    Associez un frère à cet honneur suprême.

    Ce n’est qu’un vain éclat qu’il recevra de vous ;

    Votre règne en sera plus puissant et plus doux.

    Les peuples, admirant cette vertu sublime,

    Voudront toujours pour prince un roi si magnanime,

    Et cet illustre effort, loin d’affaiblir vos droits,

    Vous rendra le plus juste et le plus grand des rois.

    Ou s’il faut que mes vœux vous trouvent inflexible,

    Si la paix à ce prix vous paraît impossible,

    Et si le diadème a pour vous tant d’attraits,

    Au moins consolez-moi de quelque heure de paix.

    Accordez cette grâce aux larmes d’une mère,

    Et cependant, mon fils, j’irai voir votre frère.

    La pitié dans son âme aura peut-être lieu,

    Ou du moins pour jamais j’irai lui dire adieu.

    Dès ce même moment permettez que je sorte :

    J’irai jusqu’à sa tente, et j’irai sans escorte ;

    Par mes justes soupirs j’espère l’émouvoir.

    Étéocle

    Madame, sans sortir vous le pouvez revoir ;

    Et si cette entrevue a pour vous tant de charmes,

    Il ne tiendra qu’à lui de suspendre nos armes.

    Vous pouvez dès cette heure accomplir vos souhaits

    Et le faire venir jusque dans ce palais,

    J’irai plus loin encore ; et pour faire connaître

    Qu’il a tort en effet de me nommer un traître,

    Et que je ne suis pas un tyran odieux,

    Que l’on fasse parler et le peuple et les dieux.

    Si le peuple y consent, je lui cède ma place ;

    Mais qu’il se rende enfin, si le peuple le chasse.

    Je ne force personne, et j’engage ma foi

    De laisser aux Thébains à se choisir un roi.

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    Scène 4

    Jocaste, Étéocle, Antigone, Créon, Olympe.

    Créon

    Seigneur, votre sortie a mis tout en alarmes :

    Thèbes, qui croit vous perdre, est déjà toute en larmes ;

    L’épouvante et l’horreur règnent de toutes parts,

    Et le peuple effrayé tremble sur ses remparts.

    Étéocle

    Cette vaine frayeur sera bientôt calmée,

    Madame, je m’en vais retrouver mon armée ;

    Cependant vous pouvez accomplir vos souhaits,

    Faire entrer Polynice et lui parler de paix.

    Créon, la reine ici commande en mon absence :

    Disposez tout le monde à son obéissance.

    Laissez, pour recevoir et pour donner ses lois,

    Votre fils Ménécée, et j’en ai fait le choix ;

    Comme il a de l’honneur autant que de courage,

    Ce choix aux ennemis ôtera tout ombrage,

    Et sa vertu suffit pour les rendre assurés.

    Commandez-lui, Madame.

    (À Créon)

    Et vous, vous me suivrez.

    Créon

    Quoi ? Seigneur,…

    Étéocle

    Oui, Créon, la chose est résolue.

    Créon

    Et vous quittez ainsi la puissance absolue ?

    Étéocle

    Que je la quitte ou non, ne vous tourmentez pas ;

    Faites ce que j’ordonne, et venez sur mes pas.

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    Scène 5

    Jocaste, Antigone, Créon.

    Créon

    Qu’avez-vous fait, Madame ? et par quelle conduite

    Forcez-vous un vainqueur à prendre ainsi la fuite ?

    Ce conseil va tout perdre.

    Jocaste

    Il va tout conserver ;

    Et par ce seul conseil Thèbes se peut sauver.

    Créon

    Eh quoi, Madame, eh quoi ? dans l’état où nous sommes,

    Lorsqu’avec un renfort de plus de six mille hommes

    La fortune promet toute chose aux Thébains,

    Le roi se laisse ôter la victoire des mains ?

    Jocaste

    La victoire, Créon, n’est pas toujours si belle ;

    La honte et les remords vont souvent après elle.

    Quand deux frères armés vont s’égorger entre eux,

    Ne les pas séparer, c’est les perdre tous deux.

    Peut-on faire au vainqueur une injure plus noire,

    Que lui laisser gagner une telle victoire ?

    Créon

    Leur courroux est trop grand…

    Jocaste

    Il peut être adouci.

    Créon

    Tous deux veulent régner.

    Jocaste

    Ils règneront aussi.

    Créon

    On ne partage point la grandeur souveraine ;

    Et ce n’est pas un bien qu’on quitte et qu’on reprenne.

    Jocaste

    L’intérêt de l’État leur servira de loi.

    Créon

    L’intérêt de l’État est de n’avoir qu’un roi,

    Qui d’un ordre constant gouvernant ses provinces,

    Accoutume à ses lois et le peuple et les princes.

    Ce règne interrompu de deux rois différents,

    En lui donnant deux rois lui donne deux tyrans.

    Par un ordre, souvent l’un à l’autre contraire,

    Un frère détruirait ce qu’aurait fait un frère ;

    Vous les verriez toujours former quelque attentat,

    Et changer tous les ans la face de l’État.

    Ce terme limité que l’on veut leur prescrire

    Accroît leur violence en bornant leur empire.

    Tous deux feront gémir les peuples tour à tour,

    Pareils à ces torrents qui ne durent qu’un jour :

    Plus leur cours est borné, plus ils font de ravage,

    Et d’horribles dégâts signalent leur passage.

    Jocaste

    On les verrait plutôt, par de nobles projets,

    Se disputer tous deux l’amour de leurs sujets.

    Mais avouez, Créon, que toute votre peine

    C’est de voir que la paix rend votre attente vaine,

    Qu’elle assure à mes fils le trône où vous tendez,

    Et va rompre le piège où vous les attendez.

    Comme, après leur trépas, le droit de la naissance

    Fait tomber en vos mains la suprême puissance,

    Le sang qui vous unit aux deux princes mes fils

    Vous fait trouver en eux vos plus grands ennemis ;

    Et votre ambition, qui tend à leur fortune,

    Vous donne pour tous deux une haine commune.

    Vous inspirez au roi vos conseils dangereux,

    Et vous en servez un pour les perdre tous deux.

    Créon

    Je ne me repais point de pareilles chimères.

    Mes respects pour le roi sont ardents et sincères,

    Et mon ambition est de le maintenir

    Au trône où vous croyez que je veux parvenir.

    Le soin de sa grandeur est le seul qui m’anime ;

    Je hais ses ennemis, et c’est là tout mon crime :

    Je ne m’en cache point. Mais à ce que je voi,

    Chacun n’est pas ici criminel comme moi.

    Jocaste

    Je suis mère, Créon, et si j’aime son frère,

    La personne du roi ne m’en est pas moins chère.

    De lâches courtisans peuvent bien le haïr,

    Mais une mère enfin ne peut pas se trahir.

    Antigone

    Vos intérêts ici sont conformes aux nôtres,

    Les ennemis du roi ne sont pas tous les vôtres ;

    Créon, vous êtes père, et dans ces ennemis,

    Peut-être songez-vous que vous avez un fils.

    On sait de quelle ardeur Hémon sert Polynice.

    Créon

    Oui, je le sais, Madame, et je lui fais justice ;

    Je le dois, en effet, distinguer du commun,

    Mais c’est pour le haïr encore plus que pas un.

    Et je souhaiterais, dans ma juste colère,

    Que chacun le haït comme le hait son père.

    Antigone

    Après tout ce qu’a fait la valeur de son bras,

    Tout le monde en ce point ne vous ressemble pas.

    Créon

    Je le vois bien, Madame, et c’est ce qui m’afflige ;

    Mais je sais bien à quoi sa révolte m’oblige ;

    Et tous ces beaux exploits qui le font admirer,

    C’est ce qui me le fait justement abhorrer.

    La honte suit toujours le parti des rebelles ;

    Leurs grandes actions sont les plus criminelles,

    Ils signalent leur crime en signalant leur bras,

    Et la gloire n’est point où les rois ne sont pas.

    Antigone

    Ecoutez un peu mieux la voix de la nature.

    Créon

    Plus l’offenseur m’est cher, plus je ressens l’injure.

    Antigone

    Mais un père à ce point doit-il être emporté ?

    Vous avez trop de haine.

    Créon

    Et vous trop de bonté.

    C’est trop parler, Madame, en faveur d’un rebelle.

    Antigone

    L’innocence vaut bien que l’on parle pour elle.

    Créon

    Je sais ce qui le rend innocent à vos yeux.

    Antigone

    Et je sais quel sujet vous le rend odieux.

    Créon

    L’amour a d’autres yeux que le commun des hommes.

    Jocaste

    Vous abusez, Créon, de l’état où nous sommes ;

    Tout vous semble permis ; mais craignez mon courroux :

    Vos libertés enfin retomberaient sur vous.

    Antigone

    L’intérêt du public agit peu sur son âme,

    Et l’amour du pays nous cache une autre flamme.

    Je la sais ; mais, Créon, j’en abhorre le cours,

    Et vous ferez bien mieux de la cacher toujours.

    Créon

    Je le ferai, Madame, et je veux par avance

    Vous épargner encore jusques à ma présence.

    Aussi bien mes respects redoublent vos mépris,

    Et je vais faire place à ce bienheureux fils.

    Le roi m’appelle ailleurs, il faut que j’obéisse.

    Adieu. Faites venir Hémon et Polynice.

    Jocaste

    N’en doute pas, méchant, ils vont venir tous deux ;

    Tous deux ils préviendront tes desseins malheureux.

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    Scène 6

    Jocaste, Antigone, Olympe.

    Antigone

    Le perfide ! À quel point son insolence monte !

    Jocaste

    Ses superbes discours tourneront à sa honte.

    Bientôt, si nos désirs sont exaucés des cieux,

    La paix nous vengera de cet ambitieux.

    Mais il faut se hâter, chaque heure nous est chère :

    Appelons promptement Hémon et votre frère ;

    Je suis pour ce dessein prête à leur accorder

    Toutes les sûretés qu’ils pourront demander.

    Et toi, si mes malheurs ont lassé ta justice,

    Ciel, dispose à la paix le cœur de Polynice,

    Seconde mes soupirs, donne force à mes pleurs,

    Et comme il faut enfin fais parler mes douleurs.

    Antigone, demeurant un peu après sa mère.

    Et si tu prends pitié d’une flamme innocente,

    Ô ciel, en ramenant Hémon à son amante,

    Ramène-le fidèle, et permets en ce jour

    Qu’en retrouvant l’amant je retrouve l’amour.

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    Acte II

    Scène 1

    Antigone, Hémon.

    Hémon

    Quoi, vous me refusez votre aimable présence,

    Après un an entier de supplice et d’absence ?

    Ne m’avez-vous, Madame, appelé près de vous,

    Que pour m’ôter sitôt un bien qui m’est si doux ?

    Antigone

    Et voulez-vous sitôt que j’abandonne un frère ?

    Ne dois-je pas au temple accompagner ma mère ?

    Et dois-je préférer, au gré de vos souhaits,

    Le soin de votre amour à celui de la paix ?

    Hémon

    Madame, à mon bonheur c’est chercher trop d’obstacles ;

    Ils iront bien sans nous consulter les oracles.

    Permettez que mon cœur, en voyant vos beaux yeux,

    De l’état de son sort interroge ses dieux.

    Puis-je leur demander, sans être téméraire,

    S’ils ont toujours pour moi leur douceur ordinaire ?

    Souffrent-ils sans courroux mon ardente amitié ?

    Et du mal qu’ils ont fait ont-ils quelque pitié ?

    Durant le triste cours d’une absence cruelle,

    Avez-vous souhaité que je fusse fidèle ?

    Songiez-vous que la mort menaçait loin de vous

    Un amant qui ne doit mourir qu’à vos genoux ?

    Ah ! d’un si bel objet quand une âme est blessée,

    Quand un cœur jusqu’à vous élève sa pensée,

    Qu’il est doux d’adorer tant de divins appas !

    Mais aussi que l’on souffre en ne les voyant pas !

    Un moment loin de vous me durait une année ;

    J’aurais fini cent fois ma triste destinée,

    Si je n’eusse songé jusques à mon retour

    Que mon éloignement vous prouvait mon amour,

    Et que le souvenir de mon obéissance

    Pourrait en ma faveur parler en mon absence ;

    Et que pensant à moi vous penseriez aussi

    Qu’il faut aimer beaucoup pour obéir ainsi.

    Antigone

    Oui, je l’avais bien cru qu’une âme si fidèle

    Trouverait dans l’absence une peine cruelle ;

    Et si mes sentiments se doivent découvrir,

    Je souhaitais, Hémon, qu’elle vous fît souffrir,

    Et qu’étant loin de moi, quelque ombre d’amertume

    Vous fît trouver les jours plus longs que de coutume.

    Mais ne vous plaignez pas : mon cœur chargé d’ennui

    Ne vous souhaitait rien qu’il n’éprouvât en lui ;

    Surtout depuis le temps que dure cette guerre,

    Et que de gens armés vous couvrez cette terre.

    Ô dieux ! à quels tourments mon cœur s’est vu soumis,

    Voyant des deux côtés ses plus tendres amis !

    Mille objets de douleur déchiraient mes entrailles ;

    J’en voyais et dehors et dedans nos murailles ;

    Chaque assaut à mon cœur livrait mille combats,

    Et mille fois le jour je souffrais le trépas.

    Hémon

    Mais enfin qu’ai-je fait, en ce malheur extrême,

    Que ne m’ait ordonné ma princesse elle-même ?

    J’ai suivi Polynice, et vous l’avez voulu :

    Vous me l’avez prescrit par un ordre absolu.

    Je lui vouai dès lors une amitié sincère ;

    Je quittai mon pays, j’abandonnai mon père ;

    Sur moi par ce départ j’attirai son courroux ;

    Et pour tout dire enfin, je m’éloignai de vous.

    Antigone

    Je m’en souviens, Hémon, et je vous fais justice :

    C’est moi que vous serviez en servant Polynice ;

    Il m’était cher alors comme il l’est aujourd’hui,

    Et je prenais pour moi ce qu’on faisait pour lui.

    Nous nous aimions tous deux dès la plus tendre enfance,

    Et j’avais sur son cœur une entière puissance ;

    Je trouvais à lui plaire une extrême douceur,

    Et les chagrins du frère étaient ceux de la sœur.

    Ah ! si j’avais encore sur lui le même empire,

    Il aimerait la paix, pour qui mon cœur soupire.

    Notre commun malheur en serait adouci :

    Je le verrais, Hémon ; vous me verriez aussi !

    Hémon

    De cette affreuse guerre il abhorre l’image.

    Je l’ai vu soupirer de douleur et de rage,

    Lorsque, pour remonter au trône paternel,

    On le força de prendre un chemin si cruel.

    Espérons que le ciel, touché de nos misères,

    Achèvera bientôt de réunir les frères.

    Puisse-t-il rétablir l’amitié dans leur cœur,

    Et conserver l’amour dans celui de la sœur !

    Antigone

    Hélas ! ne doutez point que ce dernier ouvrage

    Ne lui soit plus aisé que de calmer leur rage.

    Je les connais tous deux, et je répondrais bien

    Que leur cœur, cher Hémon, est plus dur que le mien.

    Mais les dieux quelquefois font de plus grands miracles.

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    Scène 2

    Antigone, Hémon, Olympe.

    Antigone

    Eh bien ! apprendrons-nous ce qu’ont dit les oracles ?

    Que faut-il faire ?

    Olympe

    Hélas !

    Antigone

    Quoi ? qu’en a-t-on appris ?

    Est-ce la guerre, Olympe ?

    Olympe

    Ah ! c’est encore pis !

    Hémon

    Quel est donc ce grand mal que leur courroux annonce ?

    Olympe

    Prince, pour en juger, écoutez leur réponse :

    Thébains, pour n’avoir plus de guerres,

    Il faut, par un ordre fatal,

    Que le dernier du sang royal

    Par son trépas ensanglante vos terres.

    Antigone

    Ô dieux, que vous a fait ce sang infortuné ?

    Et pourquoi tout entier l’avez-vous condamné ?

    N’êtes-vous pas contents de la mort de mon père ?

    Tout notre sang doit-il sentir votre colère ?

    Hémon

    Madame, cet arrêt ne vous regarde pas ;

    Votre vertu vous met à couvert du trépas :

    Les dieux savent trop bien connaître l’innocence.

    Antigone

    Et ce n’est pas pour moi que je crains leur vengeance :

    Mon innocence, Hémon, serait un faible appui ;

    Fille d’Œdipe, il faut que je meure pour lui.

    Je l’attends, cette mort, et je l’attends sans plainte ;

    Et s’il faut avouer le sujet de ma crainte,

    C’est pour vous que je crains : oui, cher Hémon, pour vous,

    De ce sang malheureux vous sortez comme nous ;

    Et je ne vois que trop que le courroux céleste

    Vous rendra, comme à nous, cet honneur bien funeste,

    Et fera regretter aux princes des Thébains

    De n’être pas sortis du dernier des humains.

    Hémon

    Peut-on se repentir d’un si grand avantage ?

    Un si noble trépas flatte trop mon courage,

    Et du sang de ses rois il est beau d’être issu,

    Dût-on rendre ce sang sitôt qu’on l’a reçu.

    Antigone

    Eh quoi ! si parmi nous on a fait quelque offense,

    Le ciel doit-il sur vous en prendre la vengeance ?

    Et n’est-ce pas assez du père et des enfants,

    Sans qu’il aille plus loin chercher des innocents ?

    C’est à nous à payer pour les crimes des nôtres :

    Punissez-nous, grands dieux ; mais épargnez les autres.

    Mon père, cher Hémon, vous va perdre aujourd’hui,

    Et je vous perds peut-être encore plus que lui.

    Le ciel punit sur vous et sur votre famille

    Et les crimes du père et l’amour de la fille ;

    Et ce funeste amour vous nuit encore plus

    Que les crimes d’Œdipe et le sang de Laïus.

    Hémon

    Quoi ? mon amour, Madame ? Et qu’a-t-il de funeste ?

    Est-ce un crime qu’aimer une beauté céleste ?

    Et puisque sans colère il est reçu de vous,

    En quoi peut-il du ciel mériter le courroux ?

    Vous seule en mes soupirs êtes intéressée :

    C’est à vous à juger s’ils vous ont offensée ;

    Tels que seront pour eux vos arrêts tout-puissants,

    Ils seront criminels, ou seront innocents.

    Que le ciel à son gré de ma perte dispose,

    J’en chérirai toujours et l’une et l’autre cause,

    Glorieux de mourir pour le sang de mes rois,

    Et plus heureux encore de mourir sous vos lois.

    Aussi bien que ferais-je en ce commun naufrage ?

    Pourrais-je me résoudre à vivre davantage ?

    En vain les dieux voudraient différer mon trépas,

    Mon désespoir ferait ce qu’ils ne feraient pas.

    Mais peut-être, après tout, notre frayeur est vaine ;

    Attendons… Mais voici Polynice et la reine.

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    Scène 3

    Jocaste, Polynice, Antigone, Hémon.

    Polynice

    Madame, au nom des dieux, cessez de m’arrêter :

    Je vois bien que la paix ne peut s’exécuter.

    J’espérais que du ciel la justice infinie

    Voudrait se déclarer contre la tyrannie,

    Et que lassé de voir répandre tant de sang,

    Il rendrait à chacun son légitime rang.

    Mais puisque ouvertement il tient pour l’injustice,

    Et que des criminels il se rend le complice,

    Dois-je encore espérer qu’un peuple révolté,

    Quand le ciel est injuste, écoute l’équité ?

    Dois-je prendre pour juge une troupe insolente,

    D’un fier usurpateur ministre violente,

    Qui sert mon ennemi par un lâche intérêt,

    Et qu’il anime encore, tout éloigné qu’il est ?

    La raison n’agit point sur une populace.

    De ce peuple déjà j’ai ressenti l’audace,

    Et loin de me reprendre après m’avoir chassé,

    Il croit voir un tyran dans un prince offensé.

    Comme sur lui l’honneur n’eut jamais de puissance,

    Il croit que tout le monde aspire à la vengeance ;

    De ses inimitiés rien n’arrête le cours :

    Quand il hait une fois, il veut haïr toujours.

    Jocaste

    Mais s’il est vrai, mon fils, que ce peuple vous craigne,

    Et que tous les Thébains redoutent votre règne,

    Pourquoi par tant de sang cherchez-vous à régner

    Sur ce peuple endurci que rien ne peut gagner ?

    Polynice

    Est-ce au peuple, Madame, à se choisir un maître ?

    Sitôt qu’il hait un roi, doit-on cesser de l’être ?

    Sa haine ou son amour, sont-ce les premiers droits

    Qui font monter au trône ou descendre les rois ?

    Que le peuple à son gré nous craigne ou nous chérisse,

    Le sang nous met au trône, et non pas son caprice.

    Ce que le sang lui donne, il le doit accepter,

    Et s’il n’aime son prince, il le doit respecter.

    Jocaste

    Vous serez un tyran haï de vos provinces.

    Polynice

    Ce nom ne convient pas aux légitimes princes ;

    De ce titre odieux mes droits me sont garants ;

    La haine des sujets ne fait pas les tyrans.

    Appelez de ce nom Étéocle lui-même.

    Jocaste

    Il est aimé de tous.

    Polynice

    C’est un tyran qu’on aime,

    Qui par cent lâchetés tâche à se maintenir

    Au rang où par la force il a su parvenir ;

    Et son orgueil le rend, par un effet contraire,

    Esclave de son peuple et tyran de son frère.

    Pour commander tout seul il veut bien obéir,

    Et se fait mépriser pour me faire haïr.

    Ce n’est pas sans sujet qu’on me préfère un traître :

    Le peuple aime un esclave et craint d’avoir un maître.

    Mais je croirais trahir la majesté des rois,

    Si je faisais le peuple arbitre de mes droits.

    Jocaste

    Ainsi donc la discorde a pour vous tant de charmes ?

    Vous lassez-vous déjà d’avoir posé les armes ?

    Ne cesserons-nous point, après tant de malheurs,

    Vous, de verser du sang, moi, de verser des pleurs ?

    N’accorderez-vous rien aux larmes d’une mère ?

    Ma fille, s’il se peut, retenez votre frère :

    Le cruel pour vous seule avait de l’amitié.

    Antigone

    Ah ! si pour vous son âme est sourde à la pitié,

    Que pourrais-je espérer d’une amitié passée,

    Qu’un long éloignement n’a que trop effacée ?

    À peine en sa mémoire ai-je encore quelque rang ;

    Il n’aime, il ne se plaît qu’à répandre du sang.

    Ne cherchez plus en lui ce prince magnanime,

    Ce prince qui montrait tant d’horreur pour le crime,

    Dont l’âme généreuse avait tant de douceur,

    Qui respectait sa mère et chérissait sa sœur.

    La nature pour lui n’est plus qu’une chimère ;

    Il méconnaît sa sœur, il méprise sa mère,

    Et l’ingrat, en l’état où son orgueil l’a mis,

    Nous croit des étrangers, ou bien des ennemis.

    Polynice

    N’imputez point ce crime à mon âme affligée ;

    Dites plutôt, ma sœur, que vous êtes changée,

    Dites que de mon rang l’injuste usurpateur

    M’a su ravir encore l’amitié de ma sœur.

    Je vous connais toujours et suis toujours le même.

    Antigone

    Est-ce m’aimer, cruel, autant que je vous aime,

    Que d’être inexorable à mes tristes soupirs,

    Et m’exposer encore à tant de déplaisirs ?

    Polynice

    Mais vous-même, ma sœur, est-ce aimer votre frère

    Que de lui faire ici cette injuste prière,

    Et me vouloir ravir le sceptre de la main ?

    Dieux ! qu’est-ce qu’Étéocle a de plus inhumain ?

    C’est trop favoriser un tyran qui m’outrage.

    Antigone

    Non, non, vos intérêts me touchent davantage.

    Ne croyez pas mes pleurs perfides à ce point ;

    Avec vos ennemis ils ne conspirent point.

    Cette paix que je veux me serait un supplice,

    S’il en devait coûter le sceptre à Polynice ;

    Et l’unique faveur, mon frère, où je prétends,

    C’est qu’il me soit permis de vous voir plus longtemps.

    Seulement quelques jours souffrez que l’on vous voie,

    Et donnez-nous le temps de chercher quelque voie

    Qui puisse vous remettre au rang de vos aïeux,

    Sans que vous répandiez un sang si précieux.

    Pouvez-vous refuser cette grâce légère

    Aux larmes d’une sœur, aux soupirs d’une mère ?

    Jocaste

    Mais quelle crainte encore vous peut inquiéter ?

    Pourquoi si promptement voulez-vous nous quitter ?

    Quoi ? ce jour tout entier n’est-il pas de la trêve ?

    Dès qu’elle a commencé, faut-il qu’elle s’achève ?

    Vous voyez qu’Étéocle a mis les armes bas ;

    Il veut que je vous voie, et vous ne voulez pas.

    Antigone

    Oui, mon frère, il n’est pas comme vous inflexible :

    Aux larmes de sa mère il a paru sensible ;

    Nos pleurs ont désarmé sa colère aujourd’hui.

    Vous l’appelez cruel, vous l’êtes plus que lui.

    Hémon

    Seigneur, rien ne vous presse, et vous pouvez sans peine

    Laisser agir encore la princesse et la reine :

    Accordez tout ce jour à leur pressant désir ;

    Voyons si leur dessein ne pourra réussir.

    Ne donnez pas la joie au prince votre frère

    De dire que sans vous la paix se pouvait faire.

    Vous aurez satisfait une mère, une sœur,

    Et vous aurez surtout satisfait votre honneur.

    Mais que veut ce soldat ? Son âme est toute émue !

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    Scène 4

    Jocaste, Polynice, Antigone, Hémon, un soldat.

    Le Soldat

    Seigneur, on est aux mains, et la trêve est rompue !

    Créon et les Thébains, par ordre de leur roi,

    Attaquent votre armée et violent leur foi.

    Le brave Hippomédon s’efforce, en votre absence,

    De soutenir leur choc de toute sa puissance.

    Par son ordre, Seigneur, je vous viens avertir.

    Polynice

    Ah ! les traîtres ! Allons, Hémon, il faut sortir.

    (À la reine.)

    Madame, vous voyez comme il tient sa parole :

    Mais il veut le combat, il m’attaque, et j’y vole.

    Jocaste

    Polynice ! Mon fils !… Mais il ne m’entend plus :

    Aussi bien que mes pleurs mes cris sont superflus.

    Chère Antigone, allez, courez à ce barbare

    Du moins allez prier Hémon qu’il les sépare.

    La force m’abandonne et je n’y puis courir ;

    Tout ce que je puis faire, hélas ! c’est de mourir.

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    Acte III

    Scène 1

    Jocaste, Olympe.

    Jocaste

    Olympe, va-t’en voir ce funeste spectacle ;

    Va voir si leur fureur n’a point trouvé d’obstacle,

    Si rien n’a pu toucher l’un ou l’autre parti.

    On dit qu’à ce dessein Ménécée est sorti.

    Olympe

    Je ne sais quel dessein animait son courage ;

    Une héroïque ardeur brillait sur son visage.

    Mais vous devez, Madame, espérer jusqu’au bout.

    Jocaste

    Va tout voir, chère Olympe, et me viens dire tout.

    Eclaircis promptement ma triste inquiétude.

    Olympe

    Mais vous dois-je laisser en cette solitude ?

    Jocaste

    Va : je veux être seule en l’état où je suis,

    Si toutefois on peut l’être avec tant d’ennuis !

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    Scène 2

    Jocaste

    Dureront-ils toujours ces ennuis si funestes ?

    N’épuiseront-ils point les vengeances célestes ?

    Me feront-ils souffrir tant de cruels trépas,

    Sans jamais au tombeau précipiter mes pas ?

    Ô ciel, que tes rigueurs seraient peu redoutables

    Si la foudre d’abord accablait les coupables !

    Et que tes châtiments paraissent infinis,

    Quand tu laisses la vie à ceux que tu punis !

    Tu ne l’ignores pas, depuis le jour infâme

    Où de mon propre fils je me trouvai la femme,

    Le moindre des tourments que mon cœur a soufferts

    Egale tous les maux que l’on souffre aux enfers.

    Et toutefois, ô dieux, un crime involontaire

    Devait-il attirer toute votre colère ?

    Le connaissais-je, hélas ! ce fils infortuné ?

    Vous-mêmes dans mes bras vous l’avez amené.

    C’est vous dont la rigueur m’ouvrit ce précipice.

    Voilà de ces grands dieux la suprême justice !

    Jusques au bord du crime ils conduisent nos pas,

    Ils nous le font commettre, et ne l’excusent pas !

    Prennent-ils donc plaisir à faire des coupables,

    Afin d’en faire après d’illustres misérables ?

    Et ne peuvent-ils point, quand ils sont en courroux,

    Chercher des criminels à qui le crime est doux ?

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    Scène 3

    Jocaste, Antigone.

    Jocaste

    Eh bien ! en est-ce fait ? L’un ou l’autre perfide

    Vient-il d’exécuter son noble parricide ?

    Parlez, parlez, ma fille.

    Antigone

    Ah ! Madame, en effet,

    L’oracle est accompli, le ciel est satisfait.

    Jocaste

    Quoi ? mes deux fils sont morts !

    Antigone

    Un autre sang, Madame,

    Rend la paix à l’État, et le calme à votre âme ;

    Un sang digne des rois dont il est découlé,

    Un héros pour l’État s’est lui-même immolé.

    Je courais pour fléchir Hémon et Polynice ;

    Ils étaient déjà loin, avant que je sortisse,

    Ils ne m’entendaient plus et mes cris douloureux

    Vainement par leur nom les rappelaient tous deux.

    Ils ont tous deux volé vers le champ de bataille,

    Et moi, je suis montée au haut de la muraille,

    D’où le peuple étonné regardait, comme moi,

    L’approche d’un combat qui le glaçait d’effroi.

    À cet instant fatal, le dernier de nos princes,

    L’honneur de notre sang, l’espoir de nos provinces,

    Ménécée, en un mot, digne frère d’Hémon,

    Et trop indigne aussi d’être fils de Créon,

    De l’amour du pays montrant son âme atteinte,

    Au milieu des deux camps s’est avancé sans crainte,

    Et se faisant ouïr des Grecs et des Thébains :

    « Arrêtez, a-t-il dit, arrêtez, inhumains ! »

    Ces mots impérieux n’ont point trouvé d’obstacle :

    Les soldats, étonnés de ce nouveau spectacle,

    De leur noire fureur ont suspendu le cours ;

    Et ce prince aussitôt poursuivant son discours :

    « Apprenez, a-t-il dit, l’arrêt des destinées,

    Par qui vous allez voir vos misères bornées.

    Je suis le dernier sang de vos rois descendu,

    Qui par l’ordre des dieux doit être répandu.

    Recevez donc ce sang que ma main va répandre ;

    Et recevez la paix où vous n’osiez prétendre ».

    Il se tait, et se frappe en achevant ces mots ;

    Et les Thébains, voyant expirer ce héros,

    Comme si leur salut devenait leur supplice,

    Regardent en tremblant ce noble sacrifice.

    J’ai vu le triste Hémon abandonner son rang

    Pour venir embrasser ce frère tout en sang.

    Créon, à son exemple, a jeté bas les armes

    Et vers ce fils mourant est venu tout en larmes ;

    Et l’un et l’autre camp, les voyant retirés,

    Ont quitté le combat et se sont séparés.

    Et moi, le cœur tremblant et l’âme toute émue,

    D’un si funeste objet j’ai détourné la vue,

    De ce prince admirant l’héroïque fureur.

    Jocaste

    Comme vous je l’admire, et j’en frémis d’horreur.

    Est-il possible, ô dieux, qu’après ce grand miracle

    Le repos des Thébains trouve encore quelque obstacle ?

    Cet illustre trépas ne peut-il vous calmer,

    Puisque même mes fils s’en laissent désarmer ?

    La refuserez-vous, cette noble victime ?

    Si la vertu vous touche autant que fait le crime,

    Si vous donnez les prix comme vous punissez,

    Quels crimes par ce sang ne seront effacés ?

    Antigone

    Oui, oui, cette vertu sera récompensée ;

    Les dieux sont trop payés du sang de Ménécée ;

    Et le sang d’un héros, auprès des immortels,

    Vaut seul plus que celui de mille criminels.

    Jocaste

    Connaissez mieux du ciel la vengeance fatale :

    Toujours à ma douleur il met quelque intervalle,

    Mais, hélas ! quand sa main semble me secourir,

    C’est alors qu’il s’apprête à me faire périr.

    Il a mis cette nuit quelque fin à mes larmes,

    Afin qu’à mon réveil je visse tout en armes.

    S’il me flatte aussitôt de quelque espoir de paix,

    Un oracle cruel me l’ôte pour jamais.

    Il m’amène mon fils, il veut que je le voie,

    Mais, hélas ! combien cher me vend-il cette joie !

    Ce fils est insensible et ne m’écoute pas ;

    Et soudain il me l’ôte et l’engage aux combats.

    Ainsi, toujours cruel, et toujours en colère,

    Il feint de s’apaiser, et devient plus sévère :

    Il n’interrompt ses coups que pour les redoubler,

    Et retire son bras pour me mieux accabler.

    Antigone

    Madame, espérons tout de ce dernier miracle.

    Jocaste

    La haine de mes fils est un trop grand obstacle.

    Polynice endurci n’écoute que ses droits ;

    Du peuple et de Créon l’autre écoute la voix,

    Oui, du lâche Créon ! Cette âme intéressée

    Nous ravit tout le fruit du sang de Ménécée ;

    En vain pour nous sauver ce grand prince se perd,

    Le père nous nuit plus que le fils ne nous sert.

    De deux jeunes héros cet infidèle père…

    Antigone

    Ah ! le voici, Madame, avec le roi mon frère.

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    Scène 4

    Jocaste, Étéocle, Antigone, Créon.

    Jocaste

    Mon fils, c’est donc ainsi que l’on garde sa foi ?

    Étéocle

    Madame, ce combat n’est point venu de moi,

    Mais de quelques soldats, tant d’Argos que des nôtres,

    Qui s’étant querellés les uns avec les autres,

    Ont insensiblement tout le corps ébranlé,

    Et fait un grand combat d’un simple démêlé.

    La bataille sans doute allait être cruelle,

    Et son événement vidait notre querelle,

    Quand du fils de Créon l’héroïque trépas

    De tous les combattants a retenu le bras.

    Ce prince, le dernier de la race royale,

    S’est appliqué des dieux la réponse fatale ;

    Et lui-même à la mort il s’est précipité,

    De l’amour du pays noblement transporté.

    Jocaste

    Ah ! si le seul amour qu’il eût pour sa patrie

    Le rendit insensible aux douceurs de la vie,

    Mon fils, ce même amour ne peut-il seulement

    De votre ambition vaincre l’emportement ?

    Un exemple si beau vous invite à le suivre.

    Il ne faudra cesser de régner ni de vivre :

    Vous pouvez, en cédant un peu de votre rang,

    Faire plus qu’il n’a fait en versant tout son sang ;

    Il ne faut que cesser de haïr votre frère,

    Vous ferez beaucoup plus que sa mort n’a su faire.

    Ô dieux ! aimer un frère est-ce un plus grand effort

    Que de haïr la vie et courir à la mort ?

    Et doit-il être enfin plus facile en un autre

    De répandre son sang, qu’en vous d’aimer le vôtre ?

    Étéocle

    Son illustre vertu me charme comme vous,

    Et d’un si beau trépas je suis même jaloux.

    Et toutefois, Madame, il faut que je vous die

    Qu’un trône est plus pénible à quitter que la vie :

    La gloire bien souvent nous porte à la haïr,

    Mais peu de souverains font gloire d’obéir.

    Les dieux voulaient son sang, et ce prince sans crime

    Ne pouvait à l’État refuser sa victime ;

    Mais ce même pays qui demandait son sang

    Demande que je règne et m’attache à mon rang,

    Jusqu’à ce qu’il m’en ôte, il faut que j’y demeure :

    Il n’a qu’à prononcer, j’obéirai sur l’heure,

    Et Thèbes me verra, pour apaiser son sort,

    Et descendre du trône, et courir à la mort.

    Créon

    Ah ! Ménécée est mort, le ciel n’en veut point d’autre.

    Laissez coulez son sang sans y mêler le vôtre ;

    Et puisqu’il l’a versé pour nous donner la paix,

    Accordez-la, Seigneur, à nos justes souhaits.

    Étéocle

    Eh quoi ? même Créon pour la paix se déclare ?

    Créon

    Pour avoir trop aimé cette guerre barbare,

    Vous voyez les malheurs où le ciel m’a plongé :

    Mon fils est mort, Seigneur.

    Étéocle

    Il faut qu’il soit vengé.

    Créon

    Sur qui me vengerais-je en ce malheur extrême ?

    Étéocle

    Vos ennemis, Créon, sont ceux de Thèbes même ;

    Vengez-la, vengez-vous.

    Créon

    Ah ! dans ses ennemis

    Je trouve votre frère, et je trouve mon fils !

    Dois-je verser mon sang, ou répandre le vôtre ?

    Et dois-je perdre un fils pour en venger un autre ?

    Seigneur, mon sang m’est cher, le vôtre m’est sacré :

    Serai-je sacrilège ou bien dénaturé ?

    Souillerai-je ma main d’un sang que je révère ?

    Serai-je parricide afin d’être bon père ?

    Un si cruel secours ne me peut soulager,

    Et ce serait me perdre au lieu de me venger.

    Tout le soulagement où ma douleur aspire,

    C’est qu’au moins mes malheurs servent à votre empire.

    Je me consolerai, si ce fils que je plains

    Assure par sa mort le repos des Thébains.

    Le ciel promet la paix au sang de Ménécée ;

    Achevez-la, Seigneur, mon fils l’a commencée ;

    Accordez-lui ce prix qu’il en a prétendu,

    Et que son sang en vain ne soit pas répandu.

    Jocaste

    Non, puisqu’à nos malheurs vous devenez sensible,

    Au sang de Ménécée il n’est rien d’impossible,

    Que Thèbes se rassure après ce grand effort :

    Puisqu’il change votre âme, il changera son sort.

    La paix dès ce moment n’est plus désespérée :

    Puisque Créon la veut, je la tiens assurée.

    Bientôt ces cœurs de fer se verront adoucis :

    Le vainqueur de Créon peut bien vaincre mes fils.

    (À Étéocle.)

    Qu’un si grand changement vous désarme et vous touche ;

    Quittez, mon fils, quittez cette haine farouche ;

    Soulagez une mère, et consolez Créon :

    Rendez-moi Polynice, et lui rendez Hémon.

    Étéocle

    Mais enfin c’est vouloir que je m’impose un maître.

    Vous ne l’ignorez pas, Polynice veut l’être ;

    Il demande surtout le pouvoir souverain,

    Et ne veut revenir que le sceptre à la main.

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    Scène 5

    Jocaste, Étéocle, Antigone, Créon, Attale.

    Attale

    Polynice, Seigneur, demande une entrevue ;

    C’est ce que d’un héraut nous apprend la venue.

    Il vous offre, Seigneur, ou de venir ici,

    Ou d’attendre en son camp.

    Créon

    Peut-être qu’adouci

    Il songe à terminer une guerre si lente,

    Et son ambition n’est plus si violente.

    Par ce dernier combat il apprend aujourd’hui

    Que vous êtes au moins aussi puissant que lui.

    Les Grecs mêmes sont las de servir sa colère,

    Et j’ai su depuis peu que le roi son beau-père,

    Préférant à la guerre un solide repos,

    Se réserve Mycène, et le fait roi d’Argos.

    Tout courageux qu’il est, sans doute il ne souhaite

    Que de faire en effet une honnête retraite.

    Puisqu’il s’offre à vous voir, croyez qu’il veut la paix.

    Ce jour la doit conclure ou la rompre à jamais.

    Tâchez dans ce dessein de l’affermir vous-même,

    Et lui promettez tout, hormis le diadème.

    Étéocle

    Hormis le diadème, il ne demande rien.

    Jocaste

    Mais voyez-le du moins.

    Créon

    Oui, puisqu’il le veut bien

    Vous ferez plus tout seul que nous ne saurions faire,

    Et le sang reprendra son empire ordinaire.

    Étéocle

    Allons donc le chercher.

    Jocaste

    Mon fils, au nom des dieux,

    Attendez-le plutôt. Voyez-le dans ces lieux.

    Étéocle

    Eh bien, Madame, eh bien ! qu’il vienne, et qu’on lui donne

    Toutes les sûretés qu’il faut pour sa personne.

    Allons.

    Antigone

    Ah ! si ce jour rend la paix aux Thébains,

    Elle sera, Créon, l’ouvrage de vos mains.

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    Scène 6

    Créon, Attale.

    Créon

    L’intérêt des Thébains n’est pas ce qui vous touche,

    Dédaigneuse princesse ; et cette âme farouche,

    Qui semble me flatter après tant de mépris,

    Songe moins à la paix qu’au retour de mon fils.

    Mais nous verrons bientôt si la fière Antigone

    Aussi bien que mon cœur dédaignera le trône ;

    Nous verrons, quand les dieux m’auront fait votre roi,

    Si ce fils bienheureux l’emportera sur moi.

    Attale

    Et qui n’admirerait un changement si rare ?

    Créon même, Créon pour la paix se déclare !

    Créon

    Tu crois donc que la paix est l’objet de mes soins ?

    Attale

    Oui, je le crois, Seigneur, quand j’y pensais le moins ;

    Et voyant qu’en effet ce beau soin vous anime,

    J’admire à tous moments cet effort magnanime

    Qui vous fait mettre enfin votre haine au tombeau.

    Ménécée, en mourant, n’a rien fait de plus beau ;

    Et qui peut immoler sa haine à sa patrie

    Lui pourrait bien aussi sacrifier sa vie.

    Créon

    Ah ! sans doute, qui peut d’un généreux effort

    Aimer son ennemi peut bien aimer la mort.

    Quoi ? je négligerais le soin de ma vengeance,

    Et de mon ennemi je prendrais la défense ?

    De la mort de mon fils Polynice est l’auteur,

    Et moi je deviendrais son lâche protecteur ?

    Quand je renoncerais à cette haine extrême,

    Pourrais-je bien cesser d’aimer le diadème ?

    Non, non : tu me verras, d’une constante ardeur,

    Haïr mes ennemis et chérir ma grandeur.

    Le trône fit toujours mes ardeurs les plus chères :

    Je rougis d’obéir où régnèrent mes pères,

    Je brûle de me voir au rang de mes aïeux,

    Et je l’envisageai dès que j’ouvris les yeux.

    Surtout depuis deux ans, ce noble soin m’inspire ;

    Je ne fais point de pas qui ne tende à l’empire.

    Des princes mes neveux j’entretiens la fureur,

    Et mon ambition autorise la leur.

    D’Étéocle d’abord j’appuyai l’injustice ;

    Je lui fis refuser le trône à Polynice.

    Tu sais que je pensais dès lors à m’y placer ;

    Et je l’y mis, Attale, afin de l’en chasser.

    Attale

    Mais, Seigneur, si la guerre eut pour vous tant de charmes,

    D’où vient que de leurs mains vous arrachez les armes ?

    Et puisque leur discorde est l’objet de vos vœux,

    Pourquoi par vos conseils vont-ils se voir tous deux ?

    Créon

    Plus qu’à mes ennemis la guerre m’est mortelle,

    Et le courroux du ciel me la rend trop cruelle.

    Il s’arme contre moi de mon propre dessein,

    Il se sert de mon bras pour me percer le sein.

    La guerre s’allumait lorsque pour mon supplice

    Hémon m’abandonna pour servir Polynice ;

    Les deux frères par moi devinrent ennemis,

    Et je devins, Attale, ennemi de mon fils.

    Enfin, ce même jour, je fais rompre la trêve,

    J’excite le soldat, tout le camp se soulève,

    On se bat ; et voilà qu’un fils désespéré

    Meurt, et rompt un combat que j’ai tant préparé.

    Mais il me reste un fils, et je sens que je l’aime,

    Tout rebelle qu’il est, et tout mon rival même.

    Sans le perdre, je veux perdre mes ennemis.

    Il m’en coûterait trop, s’il m’en coûtait deux fils.

    Des deux princes d’ailleurs la haine est trop puissante :

    Ne crois

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