Sicile : Baroque et rebelle: L’Âme des Peuples
Par Richard Heuzé
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À propos de ce livre électronique
La Sicile est un poème. Une terre monumentale, pétrie de son passé antique et de son héritage baroque. Une île rebelle, labourée par la mafia qui lui a causé tant de dommages. Imprenable Sicile, aujourd’hui transformée en modèle pour l’Italie moderne, où la culture a peu à peu repris ses droits et où Palerme s’affiche radieuse et ambitieuse. L’âme sicilienne vous étreint dès le détroit de Messine. Elle a le goût ténébreux des silences et des coulisses sombres, contés par les plus grands romanciers italiens. Mais elle porte en elle une joie qui irrigue et transforme l’Italie d’aujourd’hui. Ce petit livre n’est pas un guide. Il plonge dans la Sicile des Siciliens en vous donnant le goût de ses légendes. Parce que pour comprendre cette île, les mythes sont les meilleures balises. Un grand récit suivi d’entretiens avec Jean-Yves Frétigné, Francesco Giambrone et Leoluca Orlando.
Un voyage historique, culturel et linguistique pour mieux connaître les légendes siciliennes. Et donc mieux les comprendre.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Installé en Italie depuis plus de trente ans, Richard Heuzé fut le correspondant du Figaro à Rome. Il est l’auteur de Italie, l’esthétique du miracle (Nevicata, 2015) et Matteo Salvini, l’ homme qui fait peur à l’Europe (Plon, 2019).
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Aperçu du livre
Sicile - Richard Heuzé
AVANT-PROPOS
Pourquoi la Sicile ?
J’aime la Sicile. À chaque arrivée à Palerme ou à Catane, je ressens le même pincement, un mélange d’appréhension, de plaisir et de plénitude. J’aime la Sicile, la beauté de ses monuments et de ses paysages, ses couleurs vives, ses odeurs fortes, les bruits et la vivacité de ses marchés, son exubérance, sa cuisine savoureuse et ses délicieuses pâtisseries, sa vie tumultueuse et sa lumière. La lumière surtout, vive, chaude, aveuglante. Une lumière que les peintres siciliens, d’Antonello di Messina à Renato Guttuso, ont capturée sur leurs toiles.
La première chose qui vient à l’esprit quand on pense à la Sicile, c’est la mafia. Oui, bien sûr, j’en parlerai. Mais réduire ce territoire complexe, si riche d’histoire et de culture, à ce furoncle hideux qui dénature la société sicilienne depuis 160 ans serait excessivement injuste et inapproprié. Je préfère renvoyer le lecteur à la mise en garde que lance l’historien Jean-Yves Frétigné, dans l’entretien publié en seconde partie de cet ouvrage. La Sicile, c’est avant tout trois millénaires d’invasions, de colonisations, de cultures différentes qui se sont entrechoquées, assimilées, ajoutées les unes aux autres. Plus grande île de la Méditerranée, elle « n’est pas une histoire repliée sur elle-même, mais elle appartient pleinement à celle des grandes civilisations qui ont façonné l’Europe, de la Koinè grecque à l’Union européenne en passant par le monde grec, romain, puis byzantin, l’Oumma musulmane, l’Europe féodale, l’empire aragonais puis espagnol, le régime des Bourbons et, enfin, l’État-nation italien. Suivant les époques, la Sicile a été le cœur, la frontière active ou la périphérie délaissée d’une des grandes aires de notre civilisation », souligne-t-il. Outre la fierté d’être les héritiers d’un patrimoine unique en Méditerranée qui s’est enrichi de diverses manières au cours des siècles, les Siciliens considèrent aujourd’hui qu’ils ont inventé un modèle de civilisation fait d’ouverture et de tolérance, dont l’Italie d’abord et l’Europe tout entière pourraient s’inspirer.
Rebelle et baroque
« La Sicile est la clé de tout » a écrit Johann Wolfgang von Goethe, qui a toujours manifesté une affection particulière pour l’île et ses civilisations. Vandales, Wisigoths, Grecs, Romains, Sarrasins, Normands, Espagnols, puis les Piémontais de Garibaldi, les fascistes de Mussolini et les temps modernes : tous ont marqué leur passage en laissant derrière eux de profondes traces dans son histoire, son architecture, ses coutumes, ses traditions, sa langue et même sa cuisine. Palerme, sa capitale, est l’image la plus représentative de cet enchevêtrement culturel. « Avec le temps, la ville s’est transformée en une mosaïque de cultures mi-oubliées, mi-ensevelies. Ne conservant que le meilleur de chaque civilisation, un patrimoine d’une richesse historique et artistique exceptionnelle, souvent unique en son genre », relève Régine Cavallaro dans un Dictionnaire insolite de la Sicile.
Avec ses 680 000 habitants et ses innombrables églises et palais de grande beauté, Palerme est assurément la porte d’entrée de la Sicile. Le splendide palais des Normands, la cathédrale qui abrite les tombeaux des rois normands, l’église de la Martorana avec ses mosaïques byzantines du douzième, le Gesù, Santa Caterina et son gothique flamboyant, les Quattro Canti, ses oratoires, la spectaculaire fontaine de la Piazza Pretoria et ses nymphes dénudées qui ont fait scandale à l’époque (le monument est surnommé la « fontaine de la honte »), l’élégant palais Ganci, le palais Mirto et ses belles écuries, l’opulent palais Chiaramonte dans le quartier médiéval de la Kalsa, et tant d’autres : autant de trésors qu’un visiteur se doit de parcourir.
Le samedi soir, la très commerçante Via Ruggero Settimo qui s’étire entre les théâtres Politeama et Massimo, est bondée. Familles et bandes de jeunes déambulent joyeusement, dans une atmosphère d’insouciance qu’on ne rencontrait plus depuis longtemps. J’ai connu Palerme au temps de la terreur mafieuse : commerces vides, habitants calfeutrés chez eux, chevaux de frise devant les édifices publics et les églises surveillés pendant six ans par 45 000 militaires sur le qui-vive, l’arme au poing. On a curieusement donné à cette opération déclenchée au lendemain de l’assassinat du juge Falcone en 1992 et qui a duré jusqu’en 1998, le nom de « Vêpres siciliennes ».
Palerme, la ville la plus sûre d’Italie
Depuis, Palerme brille d’une vive animation. « C’est aujourd’hui la ville la plus sûre d’Italie » proclame Leoluca Orlando, cinq fois maire, en citant des chiffres officiels sur la sécurité publique. On lira son entretien plus loin. Via Maqueda, devenue piétonnière, offre le spectacle de la nouvelle société palermitaine, tolérante et multiculturelle : commerces, cafés et restaurants ethniques prolifèrent. Les marchés de Capo et de Ballaro débordent tous les matins d’une activité fébrile.
Non loin, voici ce qui reste de l’historique marché de la Vucciria, célébré par le peintre communiste Renato Guttuso dans une explosion de couleurs. Longtemps l’un des plus spectaculaires marchés de la Méditerranée, il a perdu son éclat. Sur la place du même nom, quelques poissonniers s’affairent derrière des étals débordant de poissons luisants pêchés le matin même. Des panaches de fumée âcre se dégagent des braseros où ils font griller encornets, queues de lotte et rougets à la demande. « C’est ainsi tous les jours. La pêche du matin fascine toujours autant. Elle est si fraîche et diversifiée. On aurait tort de bouder son plaisir » lance le patron, Diego, la cinquantaine alerte, un grand tablier blanc pour se protéger des éclaboussures et une assiette de citrons à la main. Il hèle le garçon du bar du coin qui accourt pour apporter un verre de sauvignon frais. Cinq triporteurs « Ape » (popularisée par le film La Strada de Federico Fellini) chargés de touristes traversent en cahotant la place mal pavée. C’est un service créé par un opérateur ingénieux qui offre aux visiteurs la possibilité de découvrir sans peine Palerme, ses palais, ses vieux quartiers et ses marchés. Les Ape plongent dans les entrailles de la Kalsa (la pure, l’élue en arabe), un