Mon ado change de genre: Témoignage
Par Elisa Bligny
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À propos de ce livre électronique
En une phrase, notre ado de 15 ans a littéralement bouleversé la vie de la famille et déconstruit tous les codes. Mais qu’à cela ne tienne ! S’il devenait une nouvelle personne, alors ce ne serait pas sans nous, ses proches. Sans notre appui, sans notre amour.
Comment comprendre, comment accepter l’idée même que son enfant n’est pas, au fond de lui, celui que l’on chérit depuis sa naissance ? Comment l’accompagner au mieux dans cette aventure hors du commun et fondatrice ?
Elisa, courageuse et dynamique, raconte son quotidien de maman d’un « nomade du genre »...
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Aperçu du livre
Mon ado change de genre - Elisa Bligny
Wegener
1 - Comment le dire ?
« Écrire, pourquoi ? Écrire pour qui ? Est-ce vraiment si important ? Écrire l’activité des insectes que nous sommes ! »
Normand Rousseau
29 mai. 18 h 55. Je suis dans le train qui me ramène chez moi. Je quitte peu à peu Paris où je travaille. Mes pensées défilent comme un écho au paysage. Je pense à la conversation que j’ai eue, à l’heure du déjeuner, avec une collègue, sur le fait de livrer à des inconnus une partie intime de nous-mêmes. Je pense à mon fils avec qui je me suis rendue à l’hôpital, la veille. Je pense à ce que nous vivons depuis presque trois ans. Je pense à ce livre qui est en train de prendre forme, en me demandant si j’ai bien raison de l’écrire et jusqu’où je peux aller, sans tomber dans l’exhibitionnisme. Depuis que ce projet d’écriture a germé et que j’ai commencé à confier mon ressenti aux pages blanches, je cherche une signification à cet acte. Une thérapie ? Peut-être. Le besoin de partager ? Possible. Mais quoi ? Et avec qui ? Avec vous qui êtes, peut-être, parents d’un enfant transgenre. Sinon, pourquoi auriez-vous eu la curiosité de lire ce témoignage ? Ou avec vous qui vous posez des questions sur ce frère, cette cousine ou cette amie qui, un jour, vous annonce que ce corps dans lequel il ou elle vit, ce corps que vous lui connaissez depuis des années lui est étranger. Qu’il est devenu l’ennemi ! Ce livre, je ne le destine pas seulement aux parents. Je l’écris aussi pour tous ceux qui, proches d’un transgenre, ont envie de découvrir ce parcours que nous avons vécu et, je l’espère, de s’en inspirer. Tout le propos de cet ouvrage est donc d’expliquer en quoi consiste le fait d’accompagner une personne transgenre et pourquoi nous l’avons fait. Pour nous, il est important de respecter la diversité et la complexité des individus et de leur permettre de s’épanouir et de s’exprimer au quotidien. Mais pour ça, il faut qu’ils se sentent compris et soutenus. Toute l’aide apportée, toutes les questions abordées et les réponses trouvées, toutes les erreurs commises participent à la transition. Elles sont autant de pierres qui pavent ce long chemin qui nous mène vers cette nouvelle personne.
Vous l’aurez sans doute compris, je suis la mère d’un adolescent transgenre, enfin, nous sommes les parents d’un adolescent transgenre. Car nous sommes un couple et même une famille, puisque nous avons également un fils aîné. À partir du moment où notre plus jeune fils — aujourd’hui il est notre fils — a fait son coming out¹, jusqu’à ce qu’il commence sa réassignation, nous l’avons accompagné, et nous le ferons aussi longtemps qu’il aura besoin de nous.
C’est, ici, ce que je veux tenter de vous raconter, à vous qui devez, bien malgré vous, faire face à cette situation. Je souhaite témoigner du soutien que nous lui apportons dans la construction de son nouveau genre, vous raconter la compréhension de nos familles, la bienveillance des amis, mais aussi vous dire toutes les questions, les doutes, les peurs… Et aussi vous parler des différentes étapes de suivi (médical, administratif, social), le tout émaillé de termes propres au contexte. Termes qu’il est important de connaître.
Je crois que je le tiens, le motif profond de cet ouvrage. La conviction intime qui m’anime. Je veux vous parler de ma perception de la souffrance des transgenres face à l’incompréhension de beaucoup de gens, à la phobie d’une partie, hélas toujours plus grande, de la société, et de l’empathie que j’éprouve pour ceux qui n’ont pas choisi leur genre ou leur orientation sexuelle et qui ne demandent qu’à vivre au grand jour, tout simplement, tels qu’ils sont réellement. Je veux vous parler d’amour.
En toute honnêteté, je ne savais pas trop comment commencer, quoi raconter exactement, quel ton prendre. Comment faire passer le message sans moralisme, mais avec le désir de traduire au mieux ce que je veux transmettre : donner de la visibilité à la transidentité, pour qu’elle soit mieux acceptée. Tout se bousculait dans ma tête, les tentatives de confidences, l’instant présent, la complicité née de ce parcours long et compliqué. Car oui, nous avons noué une belle complicité au fil des mois. Mon fils transgenre et moi, nous avons renforcé le lien indéfectible d’amour qui unit un parent à son enfant. Déjà la fin du livre, me dites-vous ? La conclusion ? Non, le chemin commence à peine. Et toujours cette même interrogation : est-il justifié que j’écrive ce livre ? J’ai rarement lu des récits-témoignages. Le fait de confier des sentiments, de raconter une expérience personnelle à un grand nombre a, pour moi, quelque chose de gênant dans sa dimension d’ingérence à la fois chez le lecteur, car les propos en appellent à son empathie, et chez l’auteur, qui fait preuve d’un abandon total de sa pudeur. Étais-je bien capable de livrer ce que je ressentais au fond de moi ? Y avait-il un réel intérêt à le faire, autre que celui d’un quelconque journal intime ? Au fur et à mesure que se dessinait ce projet, j’attachais une nouvelle signification à le mener à terme. Il m’a juste fallu un peu de temps pour le comprendre et le formaliser.
Une longue discussion avec une jeune fille qui vient de valider son master II en psychologie m’y a un peu aidée. Au cours d’une conversation dont le sujet était tout autre — j’étais en train d’écrire une pièce de théâtre pour un atelier qu’elle animait —, je me suis retrouvée à raconter ce que je ressentais en tant que maman d’un adolescent transgenre. Mes réponses en écho à ses questions qui, sans que je m’en aperçoive, avec habileté, m’incitaient à une introspection. Ce fut un peu comme une thérapie, cette heure au téléphone. Dans la foulée, j’en ai discuté avec une chargée d’édition avec qui je suis en contact. Elle m’a encouragée dans ma démarche, me prodiguant quelques conseils au passage. Cela faisait sens. Ainsi, en confiant ce que je ressentais intimement, en rapportant les propos et les sentiments de mon mari, de mon fils aîné et de son frère transgenre, mon but était, et demeure, de faire comprendre qu’un transgenre est une personne « comme les autres ». Et qu’en racontant cette histoire, notre histoire, je servais finalement cette cause fondamentale, le droit de chaque être humain d’être ce qu’il est au fond de lui, de vivre en toute liberté son genre et sa sexualité. Quelques mots d’encouragement de mon mari ont achevé de me convaincre de vous parler de mon fils, un nomade du genre.
1. Coming out : faire son « coming out », c’est dévoiler autour de soi (famille, ami, collègue…) toute caractéristique personnelle (sexuelle ou de genre) jusque-là tenue secrète par crainte du rejet ou par souci de discrétion. Le terme est utilisé de manière générale et par extension, aussi bien pour confier son homosexualité que pour expliquer sa transsexualité ou sa transidentité. Le 11 octobre est devenu la journée internationale du coming out depuis 1988 (Coming out Day). Elle a été créée une année après une marche ayant rassemblé plus de 500 000 manifestants à Washington DC, États-Unis.
2 - Une question de courage
« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. »
Jean Jaurès
Pour défendre au mieux cette cause — celle de pouvoir vivre en toute liberté son genre et sa sexualité —, je devais aussi confier, en tant que proche, mes doutes et mes angoisses. Je n’ai pas la posture d’un spécialiste, médecin, sociologue ou philosophe qui, avec recul et partialité, disserte sur le concept de transidentité. Mon vocabulaire sera sans doute moins précis, mon style, plus décousu, le fil du récit guidé par l’émotion, plus anarchique… Mais j’ai la légitimité d’une mère. Mon propos s’appuie sur une expérience qui lui donne toute sa force et son courage. Car, ici, il n’est question que de courage. Courage du jeune qui affronte son entourage et qui, sans cesse, doit s’expliquer, se justifier pour être accepté. Le courage des parents placés dans une situation à laquelle ils n’étaient pas préparés, eux-mêmes en proie aux questions, aux troubles, aux appréhensions… À vous parents comme aux autres membres de la famille, aux amis, aux copains, à ceux qui veulent comprendre… je veux d’abord vous rassurer : il faut laisser le droit à la réflexion et à l’hésitation. Saisissez bien l’importance justement de toutes ces étapes où se construit la compréhension. Ces moments, chèrement gagnés, où vous faites un pas l’un vers l’autre, parents vers enfant, enfant vers parents. Chacun doit mener son chemin comme il le peut, à son rythme. Les retrouvailles (entre vous et la nouvelle personne qui se construit à vos côtés) n’en seront que plus sincères et émouvantes. Parfois même, il ne sera pas question de retrouvailles, mais d’une belle rencontre avec un fils ou une fille que vous ne connaissiez pas vraiment. Dont vous ignoriez l’existence. À côté duquel vous auriez pu passer si vous n’aviez pas été aussi vigilants et à l’écoute de sa souffrance.
Mais, et je sais que là je vais me montrer moins conciliante et peut-être vous choquer : la réflexion et l’hésitation certes, seulement jusqu’à un certain point. Car si, à mon sens, la personne transgenre ne peut qu’aller au bout de sa démarche (c’est pour elle une question de survie), les proches se doivent, à un moment, d’accepter sans condition, par amour. Ainsi, même s’il est difficile de comprendre et d’accompagner un enfant dans sa transition, on ne peut pas, en tant que parents, agir autrement. Enfin, je n’imagine pas qu’on puisse