Les modèles, possibilités et limites: Jusqu’où va le réel ?
Par Jean-Michel Levy
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À propos de ce livre électronique
Les rencontres « Physique et interrogations fondamentales » (PIF) sont l’occasion pour des scientifiques de formations très différentes de confronter leurs points de vue sur un thème lié aux grandes questions de la science contemporaine. Elles se situent à un niveau permettant à un public cultivé mais non spécialisé de suivre les exposés. Elles se tiennent tous les deux ans dans le grand amphithéâtre du site François Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France qui les coorganise avec la Société française de physique. La onzième édition de PIF a été consacrée à une mise au point sur les modèles et les simulations, omniprésents dans la pratique des sciences et techniques contemporaines comme le démontre l’éventail des contributions ici rassemblées. Alors qu’idéalement la méthode scientifique confronte théories et expériences qui s’adressent directement à l’objet étudié, les modèles complètent souvent une théorie inachevée, voire remplacent une théorie inexistante et décrivent tout ce qui est considéré comme bien connu dans un dispositif expérimental donné, pour ne laisser indéterminé que ce qui se rapporte à la question posée. La question de la part de réalité que ces modèles englobent est donc fondamentale. La simulation, qui est la méthode de choix pour résoudre des modèles trop complexes pour se prêter à un calcul exact, constitue, d’une certaine façon, une modélisation au second degré dont l’adéquation doit elle aussi être soigneusement mise à l’épreuve.
Découvrez le recueil des contributions scientifiques issues de la onzième édition de PIF, centrée sur le thème des modèles et des simulations scientifiques.
EXTRAIT
Il est rare aujourd’hui de visiter un laboratoire ou un bureau d’études sans voir des chercheurs et des ingénieurs s’affairant autour de modèles ou de simulations. À tel point que l’on peut se demander, dans certains cas, ce qu’est devenu le réel. Notamment, on peut se demander ce qu’est devenue la pratique expérimentale réelle et si elle a trouvé des substituts adéquats dans les modèles et les simulations. On se doute que la réponse sera fortement nuancée. Ainsi, on peut se poser la question : n’a-t-on pas excessivement congédié le réel pour lui préférer ce qui passe le plus souvent pour sa représentation ou sa copie, à savoir le modèle ou la simulation ?
À PROPOS DES AUTEURS
Sous la direction de Jean-Michel Levy, physicien au Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies, unité mixte de recherche des universités Paris VI, Paris VII et du CNRS, différents auteurs ont collaboré à Les modèles, possibilités et limites : Pascale Braconnot, Daniel Estévez, Philippe Huneman, Valérie Masson-Delmotte, François Sauvageot, Michel Spiro, Romain Teyssier et Franck Varenne.
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Aperçu du livre
Les modèles, possibilités et limites - Jean-Michel Levy
Les modèles, possibilités et limites
Jusqu’où va le réel ?
2014 Logo de l'éditeur EDMAT
Copyright
© Editions Matériologiques, Paris, 2016
ISBN numérique : 9782919694617
ISBN papier : 9782919694624
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Présentation
Les rencontres « Physique et interrogations fondamentales » (PIF) sont l’occasion pour des scientifiques de formations très différentes, de confronter leurs points de vue sur un thème lié aux grandes questions de la science contemporaine. Elles se situent à un niveau permettant à un public cultivé mais non spécialisé de suivre les exposés. Elles se tiennent tous les deux ans dans le grand amphithéâtre du site François Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France qui les coorganise avec la Société française de physique. La onzième édition de PIF a été consacrée à une mise au point sur les modèles et les simulations, omniprésents dans la pratique des sciences et techniques contemporaines comme le démontre l’éventail des contributions ici rassemblées. Alors qu’idéalement la méthode scientifique confronte théories et expériences qui s’adressent directement à l’objet étudié, les modèles complètent souvent une théorie inachevée, voire remplacent une théorie inexistante et décrivent tout ce qui est considéré comme bien connu dans un dispositif expérimental donné, pour ne laisser indéterminé que ce qui se rapporte à la question posée.
Table des matières
Les modèles, possibilités et limites. Jusqu’où va le réel ? (Jean-Michel Levy)
Chapitre 1. Épistémologie des modèles et des simulations : tour d’horizon et tendances (Franck Varenne)
1 - Omniprésence, diversité, perplexité
2 - Les modèles : un bref historique
3 - Les modèles : état des lieux
4 - Les épistémologies des modèles
5 - Les simulations
Chapitre 2. Simuler les grandes structures de l’univers (Romain Teyssier)
Chapitre 3. Au-delà du réel : modélisation et prédiction (François Sauvageot)
1 - Monde mental, monde platonicien, monde physique
2 - Ponts mathématiques
3 - Polysémie et sous-détermination
4 - Expertise et contre-expertise
5 - Les mathématiques au-delà du réel
Chapitre 4. Évolution du climat, modélisation, incertitudes (Pascale Braconnot et Valérie Masson-Delmotte)
1 - Observer et modéliser le système climatique et ses variations
2 - La réponse du système à une perturbation radiative
3 - Cycle hydrologique et fonte du Groenland
4 - Couplage entre le climat et le cycle du carbone
Chapitre 5. Dialogue entre maquette et modèle en architecture (Daniel Estévez)
1 - Alberti et la maquette comme modèle expérimental
2 - Maquettes proliférantes, représentations en série
3 - Les maquettes informatiques sont des modèles transparents
4 - Et dans le même geste, construire, représenter et concevoir
5 - Le bricolage des modèles de la perception-conception
Chapitre 6. Quand un modèle devient standard (Michel Spiro)
1 - Physique des particules
2 - La cosmologie
3 - Conclusions
Chapitre 7. Biologie évolutionniste, vie artificielle et algorithmes : sur l’épistémologie des modèles computationnels (Philippe Huneman et Antoine Ermakoff)
1 - Typologie des études algorithmiques évolutionnistes
2 - Sélection naturelle et purs processus possibles
3 - Le problème de la validation : la variété des processus dans les simulations et leur articulation avec la biologie évolutionniste
4 - Le problème du gradualisme et les simulations informatiques
5 - Conclusion
Introduction
Les modèles, possibilités et limites. Jusqu’où va le réel ?
Jean-Michel Levy
Membre du comité d’organisation des rencontres « Physique et interrogations fondamentales », Jean-Michel Levy est physicien au Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies, unité mixte de recherche des universités Paris VI, Paris VII et du CNRS (IN2P3). Ses travaux actuels portent sur les oscillations des neutrinos.
Depuis 1993, la Société française de physique organise, avec une périodicité desormais fixée à deux ans, un colloque d’un jour destiné à un public de non-spécialistes cultivés intitulé « Physique et interrogations fondamentales » (PIF). Le programme se lit dans l’intitulé. La physique est considérée comme le socle le plus solide sur lequel construire une image du monde, mais elle n’a pas réponse à tout et ces journées font largement appel à des spécialistes d’autres disciplines pour appréhender les questions posées et tâcher d’y répondre. La Bibliothèque nationale de France s’est associée à ce programme depuis l’an 2000 et les journées PIF se tiennent régulièrement dans le grand auditorium du site François Mitterand [1] .
Devant la difficulté de les publier, nous n’avons plus demandé de versions écrites aux conférenciers depuis PIF 11. Sur la suggestion d’un de nos auteurs, nous avons donc fait le choix des Éditions Matériologiques pour rattraper un peu notre passif en commençant par le dernier des colloques pour lesquels nous avons des versions écrites complètes.
Le colloque PIF 11, qui s’est déroulé le 10 décembre 2008 et qui fut ouvert par les paroles de bienvenue de Jacqueline Sanson, directrice générale de la BNF, avait pour thème les modèles et la modélisation [2] . Comme il est de tradition dans ces rencontres, les interventions sont allées bien au-delà des frontières de la physique et ont traité de domaines, et donc d’utilisations et de pratiques de la modélisation, extrêmement différents. Pour visualiser, comprendre ou simplifier d’abord et pour agir, prédire ou modifier ensuite, cette dernière a été utilisée depuis l’Antiquité, si l’on veut bien considérer qu’une maquette d’architecte constitue elle aussi un modèle. De ce fait, le champ des exposés possibles était pratiquement infini et il a fallu faire des choix. Nonobstant cette nécessité, les titres retenus sont allés, comme on va le voir, de la cosmologie à l’architecture [3] .
&&&&&&
L’analyse de Franck Varenne (philosophe des sciences, Université de Rouen et GEMASS, UMR 8598/CNRS/Paris Sorbonne) [4] , intitulé « Épistémologie des modèles et des simulations : tour d’horizon et tendances » constitue une belle entrée en matière qui permet, en particulier, de prendre la mesure d’une pratique – ou plutôt d’une approche, tant les pratiques sont variées – qui est utilisée maintenant dans de nombreux domaines de l’activité humaine. Après un bref historique faisant remonter la notion moderne de modèle à Faraday, Maxwell et Boltzmann, Franck Varenne s’attache à en établir une typologie, davantage fondée sur ce qui leur est demandé et la manière dont ils sont utilisés, que sur les moyens utilisés par les « modéliseurs ». Il est ainsi conduit à distinguer pas moins de vingt fonctions des modèles, sans parler des simulations. Il montre comment ces dernières, qui intervinrent initialement en tant qu’outils permettant d’utiliser pratiquement des modèles complexes, ont acquis une existence propre au point qu’aujourd’hui, par un étrange renversement des rôles, certaines simulations nécessitent elles-mêmes des modèles pour être bien comprises et interprétées. Il insiste aussi sur le fait qu’il n’existe pas une épistémologie unique des modèles et que les prises de position visant à qualifier et à juger la pratique de la modélisation de façon globale sont nécessairement réductrices et erronées.
Cette ouverture est suivie par un texte de Romain Teyssier (astrophysicien, CEA, Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers, service d’astrophysique) [5] sur l’utilisation des modèles et de la simulation en cosmologie, en particulier pour décrire la formation des grandes structures de l’Univers. Seules des simulations numériques très lourdes permettent de confronter le modèle fondé sur l’instabilité gravitationnelle de la matière noire froide aux grands traits de l’Univers où nous vivons. Elles sont soumises à deux exigences contradictoires qui sont d’une part, la nécessité de discrétiser l’espace et le temps le plus finement possible, et d’autre part, celle de considérer simultanément une très grande variété d’échelles. Romain Teyssier décrit certaines de ces « aventures numériques », insistant sur le fait que les ordinateurs utilisés sont des instruments d’observation scientifique considérables, au même titre que les grands télescopes ou les grands accélérateurs.
Vient ensuite un essai de François Sauvageot (chargé de mission au CNRS, communication en mathématiques) [6] sur la modélisation mathématique [7] qu’il situe au-delà du réel du fait de la multiplicité des modèles, des instruments et des interprétations. Il s’interroge sur la « déraisonnable efficacité des mathématiques », sur la valeur explicative des modèles et sur l’étrange possibilité de prédire sans expliquer, mais insiste sur le fait que, quel que soit le rapport des mathématiques au réel, la croyance en ce rapport joue un grand rôle comme moteur et catalyseur de la recherche en de nombreux domaines. La multiplicité des modèles, leurs contradictions parfois l’amènent à insister sur le caractère expérimental et polysémique des mathématiques qui autorise des développements dans des directions parfaitement opposées mais « collant » néanmoins « asymptotiquement » au réel.
L’après-midi du colloque s’ouvre par un exposé en duo de Pascale Braconnot (climatologue, Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, CEA-CNRS-UVSQ/IPSL) [8] et Valérie Masson-Delmotte (idem) [9] sur l’évolution du climat. La grande variété des phénomènes en jeu et la très grande hétérogénéité des échelles d’espace et de temps qui devraient être prises en compte pour une modélisation complète rendent ce problème capital extrêmement difficile à attaquer. Les difficultés bien connues des prévisions météorologiques à court ou moyen terme ne donnent qu’une faible idée de celles que pose une question qui met nécessairement en jeu l’ensemble de l’atmosphère, des océans et de la couverture végétale du globe. Une vingtaine de modèles sont mis à contribution par les membres du GIEC ; cependant, l’examen des réponses prédites du « système Terre » aux différents forçages imposés montre une certaine cohérence et décrit en moyenne les observations.
Les forçages dont il est question sont d’une part, les réponses aux variations de certains paramètres, en particulier, ceux de l’orbite terrestre, pour rendre compte des périodes glaciaires du passé et d’autre part, l’augmentation anthropogénique récente de la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre pour expliquer le réchauffement climatique. La nécessité, ici, de faire des prédictions à la fois à court et à long terme pour guider des choix politiques parfois urgents rend le problème encore plus difficile et nécessite que le travail soit distribué entre de très nombreuses équipes.
Dans un genre très différent et très rafraîchissant après des exposés faisant appel à la « simulation lourde », Daniel Estévez (architecte, Laboratoire Li2a, École nationale supérieure d’architecture de Toulouse) [10] introduit ensuite le lecteur à l’utilisation des modèles et des maquettes en architecture. Son exposé s’appuie au départ sur les écrits de Leon Battista Alberti, humaniste et architecte de la Renaissance, qui explique très clairement sa façon de concevoir l’usage de la maquette comme celui d’un instrument permettant de guider et contrôler la construction, mais aussi d’un modèle qui permet d’évaluer l’œuvre à venir, d’envisager des ajouts ou des modifications, de remettre les choses à plat et d’innover en explorant tout le terrain des possibles. Il en résulte qu’en tant qu’instrument de travail de l’architecte, la maquette est multiple et parfois très dépouillée, selon l’usage qu’on veut en faire. Elle est donc tout le contraire d’un modèle réduit fignolé ; loin de diminuer, son utilisation contemporaine va au-delà de celle que lui réservait Alberti.
Michel Spiro (physicien des particules, Institut national de physique nucléaire et de physique des particules, CNRS) [11] décline ensuite la notion de « modèle standard », compris comme le modèle qui fait consensus parmi les spécialistes d’un domaine spécifique. Il fait le point successivement sur le modèle standard de la physique des particules, le modèle standard du Soleil et le modèle standard de la cosmologie, tous trois liés par les contraintes qu’ils s’imposent l’un à l’autre, mais qui trouvent le moyen de coexister et de se fertiliser réciproquement grâce aux acquis récents, aussi bien théoriques qu’expérimentaux et observationnels.
Enfin Philippe Huneman (philosophe de la biologie, Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, CNRS/ Université Paris I Sorbonne) [12] , avec Antoine Ermakoff (SPHERE, Université Paris 7), examinent l’usage des simulations informatiques en biologie évolutive, proposent une typologie des usages et des formes de ces simulations en fonction des stratégies explicatives et des systèmes ciblés, puis conceptualisent la force explicative de ces modèles à partir de considérations sur le sens causal des simplifications qu’ils font (considérées dans leur rapport avec le fait de la hiérarchie biologique). Ils suggèrent ensuite une application de cela à la question de l’insuffisance du gradualisme darwinien pour expliquer les changements discontinus tels que ce qu’on appelle émergence de la nouveauté évolutive.
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Les organisateurs ont dédié cette onzième édition de PIF à la mémoire de Michel Crozon, décédé en janvier 2008, qui fut longtemps un des piliers de ces rencontres, comme d’ailleurs de nombreuses initiatives en vue de répandre la connaissance dans tous les secteurs de la société. Gilles Cohen-Tannoudji lui rendit publiquement hommage en fin de matinée.
Notes du chapitre
[1] ↑ 1993 : PIF 1, « Le temps et sa flèche ». 1995 : PIF 2, « Réalité et virtualité dans les sciences ». 1997 : PIF 3, « Prédiction et probabilité dans les sciences ». 1998 : PIF 4, « Symétrie et brisure de symétrie ». 1999 : PIF 5, « L’élémentaire et le complexe ». 2000 : PIF 6, « Le siècle des quanta ». 2002 : PIF 7, « Causalité et finalité ». 2003 : PIF 8, « Le réel et ses dimensions ». 2005 : PIF 9, « Einstein et les horizons de la physique ». 2007 : PIF 10, « Surprenante plasticité : structures et évolution ». 2008 : PIF 11, « Les modèles, possibilités et limites : jusqu’où va le réel ? ». 2010 : PIF 12, « Aux frontières de la connaissance : les instruments de l’extrême ». 2012 : PIF13, « Les nouvelles lumières : comment la physique continue d’éclairer le monde ? ».
[2] ↑ Cette rencontre fut organisée en concertation avec l’Académie européenne interdisciplinaire des sciences (AEIS) qui organisait, les 15 et 16 décembre 2008 dans les locaux de l’université Denis Diderot, un congrès sur l’émergence, une approche scientifique du réel dans laquelle la pratique de la modélisation joue un rôle crucial.
[3] ↑ Les séances de PIF 11 ont été filmées et sont visibles sur le site webcast.in2p3.fr , http://webcast.in2p3.fr/videos-epistemologie_des_modeles_et_des_simulations .
[4] ↑ Franck Varenne est maître de conférences en philosophie des sciences à l’Université de Rouen et chercheur au Gemass (UMR 8598 – CNRS/Paris Sorbonne). Ses recherches portent sur l’épistémologie des modèles et des simulations. Il a notamment publié : Du modèle à la simulation informatique (Vrin, 2007), Qu’est-ce que l’informatique ? (Vrin, 2009), Formaliser le vivant : lois, théories, modèles (Hermann, 2010), Modéliser le social (Dunod, 2011), Modéliser & simuler. Épistémologies et pratiques de la modélisation et de la simulation , tome 1 (en codirection avec Marc Silberstein, éditions Matériologiques, 2013, http://www.materiologiques.com/Modeliser-simuler-Epistemologies ). Le tome 2 de cet ouvrage sera publié en 2014. Il a également publié dans de nombreuses revues, dont Simulation , Journal of Artificial Societies and Social Simulation , Natures Sciences Sociétés , Revue d’histoire des sciences .
[5] ↑ Romain Teyssier est polytechnicien, titulaire d’un doctorat