L’affaire Henri Froment: Roman biographique
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À propos de ce livre électronique
Après un silence volontaire de cinq années et plus, l’écrivain vaudois C.-F. Landry revient au roman. « Mais pas un simple roman », comme il le disait lui-même: un roman qui se passe dans nos pays, quelque part entre Genève, Neuchâtel, Berne et Martigny. Un roman qui touche à d’immenses choses: l’Injustice, la Fatalité, le Mystère du Bonheur, la Destinée. Il y a des gens à qui tout réussit. D’autres pour qui tout rate… Et pourtant, le monde immédiat renferme des bonheurs humbles, à la portée du plus déshérité.
Quelque part entre Diégo et La Devinaize, L’Affaire Henri Froment rejoint Garcia. Seulement cette fois si ce sont nos paysages, ce sont aussi nos affaires, notre terrible pouvoir de silence, notre prodigieux pouvoir de déguiser la Réalité.
L’écrivain ne se contente plus de nous raconter – et très bien – une histoire ; comme le prophète parlant du roi David, brusquement il déclare à chacun: « Tu es cet homme. » Poignante histoire racontée tout uniment, pouvant être mise entre les mains, et qui, certainement, touchera ce qu’il y a de généreux dans la jeunesse confrontée à une injustice.
Aussi passionnant à lire qu’un roman policier, L’Affaire Henri Froment n’a rien du roman policier, mais toute la poésie secrète de nos horizons familiers. Ça pourrait être ici, ça pourrait être là : Moudon ou Orbe ? Vevey ou Yverdon ? Rolle ou Estavayer ?
Le Grand Prix Ramuz est venu récompenser C.-F. Landry au moment où il se préparait à accomplir un nouveau bond en avant. L’Affaire Henri Froment nous promet encore de belles récoltes.
Un roman qui met en avant un personnage fascinant dont on ne peut détacher le regard tant on est curieux de savoir jusqu’où il peut aller
EXTRAIT
L’odeur amère du laurier dominait les autres parfums de la nuit. Froment devinait cependant la fine senteur d’huile de son fusil. Huile et acier. Car l’acier sent. Un bon fusil aura toujours un petit parfum matinal, de train qui a freiné, une odeur d’étoiles ; un rien qui vous donnerait envie de siffler, ou de fredonner. Il fait bon marcher dans les matins du monde. L’air tout mêlé d’eau traîne sur le visage ; c’est comme tous les feuillages de mai qu’on écarterait. Sacrés corbeaux de l’aube ! et leur bâillement nasal !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Roman peu connu d’un auteur un peu oublié, L’Affaire Henri Froment se révèle pourtant à la hauteur d’un Ramuz mâtiné de Giono, la révolte en plus: à redécouvrir d’urgence !" - Emilie de Clercq, Marie-Claire
"Le Nouveau Roman prônait le passage de l’écriture d’une aventure à l’aventure d’une écriture. Ici, on a les deux en même temps. Du grand art !" - André Normand, La Distinction
A PROPOS DE L’AUTEUR
Charles-François Landry (1909-1973) est un écrivain suisse. Il passe une partie de sa jeunesse dans le sud de la France avant de s'établir sur les rives du Léman. Amoureux de la nature et solitaire, son goût pour l'écriture se manifeste dès les années de collège. A vingt ans, il publie son premier recueil poétique Imagerie.
Il se fixe définitivement en Suisse et réussit à vivre de la plume, même si ce choix lui fait souvent côtoyer la misère. Après avoir écrit de la poésie, Charles-François Landry passe au roman et à des récits historiques et lyriques consacrés notamment à Davel ainsi qu'à Charles le Téméraire. Ses publications lui valent la reconnaissance du monde littéraire romand et français et lui font remporter de nombreux prix.
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Avis sur L’affaire Henri Froment
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Aperçu du livre
L’affaire Henri Froment - Charles-François Landry
Charles-François Landry
(Source : Diégo.
Le Mont-sur-Lausanne : Éditions Ouverture, 1993)
Charles-François Landry
L’Affaire Henri Froment
Roman
devise.jpgCe sigle était la devise de C.-F Landry
logo-camPoche.jpg« L’Affaire Henri Froment »
a paru en édition originale
aux Éditions du Panorama,
à Bienne, en 1963
« L’Affaire Henri Froment »,
trois cent seizième ouvrage publié
par Bernard Campiche Éditeur,
le soixante et unième de la collection camPoche,
a été réalisé avec la collaboration de Jade Krayenbühl,
de Philippe Landry,
de Daniela Spring et de Julie Weidmann
Couverture et mise en pages : Bernard Campiche
Photogravure : Bertrand Lauber, Color+, Prilly,
& Cédric Lauber, L-X-ir Images, Prilly
Impression et reliure : Imprimerie La Source d’Or,
à Clermont-Ferrand
(Ouvrage imprimé en France)
ISBN papier 978-2-88241- 317-8
ISBN numérique 978-2-88241-368-0
Tous droits réservés
© 2012 Bernard Campiche Éditeur
Grand-Rue 26 – CH -1350 Orbe
www.campiche.ch
À mon vieil ami Gustave Roud
qui a aimé et qui a défendu
ce livre, avec mon amitié
reconnaissante.
I
L’ ODEUR amère du laurier dominait les autres parfums de la nuit. Froment devinait cependant la fine senteur d’huile de son fusil. Huile et acier. Car l’acier sent. Un bon fusil aura toujours un petit parfum matinal, de train qui a freiné, une odeur d’étoiles ; un rien qui vous donnerait envie de siffler, ou de fredonner. Il fait bon marcher dans les matins du monde. L’air tout mêlé d’eau traîne sur le visage ; c’est comme tous les feuillages de mai qu’on écarterait. Sacrés corbeaux de l’aube ! et leur bâillement nasal !
Il y eut un moustique. Ce n’était pas le moment de se faire découvrir à cause d’un moustique. Froment appuya son arme à une branche assez forte, et, avec des ruses, il ramassa l’air en une poignée dont il se frotta la nuque. Il crut sentir un rien d’humidité, l’équivalent d’une goutte de pluie… Peut-être aussi un tout petit rouleau sur la peau… Le sang et le corps du moustique.
— Ça y est, je l’ai eu.
L’important pour Froment était de s’être « vengé » du moustique. Pour lui, il n’y avait plus à cet instant que des luttes à mort.
Mais un autre moustique (ou le même) trébucha dans son oreille. Tintamarre argentin, hors de proportion. Froment ne broncha pas :
« Ah ! Ah ! tu voudrais me faire faire une bêtise… Eh bien ! pique-moi tant que tu voudras, je ne bouge plus ! »
Il ne se représentait le monde que sous forme de querelles ou d’intentions malveillantes. Il expliquait tout, désormais, par deux formules : On essayait de l’avoir – On ne l’aurait pas.
Quelqu’un passa dans le chemin. Il écouta le bruit des souliers : un homme. Un homme qui traînait les pieds. Froment tourna un peu la tête : il y a toujours des pans d’ombre moins noirs que d’autres, comme des toiles qui créeraient la profondeur de la nuit : c’était une vieille, qui devait avoir mis des souliers d’homme. Elles le font souvent.
Il se demanda s’il pouvait risquer d’être vu, tenant l’affût. Des yeux très accoutumés à la nuit pourraient toujours apercevoir un reflet sur le fusil. Et puis, si abâtardis que soient les hommes, ils ont encore parfois la notion d’une présence. Surtout d’une présence hostile. Froment se disait : Je suis peut-être comme un poste de radio… J’envoie un message, sans que je le veuille.
L’idée l’amusa. Il se détendit. Il décida de perfectionner son camouflage, en ne pensant plus à ce qu’il allait faire. S’il avait continué à chanter au fond de lui « Je vais tout à l’heure tuer ce salaud »… cela aurait fini par s’entendre. Un chien pourrait se mettre à hurler. Les chiens… Tenir compte des chiens. Tenir compte de tout. Se foutre de tout.
Froment savait ce qu’il allait faire : simplement peser sur la gâchette. C’était une chose si bien arrêtée qu’elle en perdait toute actualité. Ce serait chose faite, avant même d’en prendre conscience. Comme il y a un soleil au ciel. Cela ne se discutait plus.
Il n’avait peut-être jamais été aussi calme de toute sa vie. Jamais aussi hors de question. Quand on est petit, on se cache aussi derrière un buisson de lauriers. On regarde un char, on regarde le cheval baisser la tête, puis la relever, comme s’il avait un col qui le gêne. On sait qu’un homme va revenir, poser le pied sur le marchepied, s’asseoir, et secouer doucement les rênes. On n’aurait pas un instant l’idée d’intervenir dans l’ordre des choses, ni de vouloir que l’homme se presse de revenir. Il viendra quand il viendra, il partira quand il partira.
Il y eut une bête (si c’est un chien, je suis foutu). Mais cette idée n’avait rien d’agaçant. Quand on est petit, on se penche sur le parapet d’un pont : Je crache. Si j’atteins cette feuille qui dérive, j’ai gagné.
— Gagné quoi ? On ne le sait pas. Et puis, le crachat se déchire dans l’air, parce qu’il avait pris de la vitesse. On n’a ni gagné ni perdu. On ne saura rien.
La bête bruyante était un hérisson.
— Tiens, se dit Froment… un hérisson !
À ce moment, il y eut un ronflement de chaise qui traîne un peu sur le plancher. Quelqu’un dans la chambre s’avança vers la fenêtre, attiré par le bruit. On poussa le volet.
Froment tira, puis fit un bizarre bond qui le rappela une troisième fois à l’enfance, car ce fut le geste d’un garçon qui s’appuie d’une main à une barrière et s’envole. Et déjà il avait disparu dans la nuit, sortant de Challans par le haut.
Et quelque chose en lui chantait, chantait, chantait, chantait à tue-tête, si fort qu’il n’entendit pas les paroles, pendant un bon bout de temps.
Il avait marché très vite, mais sans courir. Croyant qu’il y avait une forte bise, s’il en jugeait au bruit de ses oreilles. Il réalisa brusquement que seul son sang faisait tout ce bruit. L’air était absolument calme.
Alors à ce moment il entendit ce qu’il se chantait :
— Je l’ai eu ! Je l’ai eu ! Je l’ai eu ! Je l’ai eu ! Je l’ai…
C’est ça, tuer un homme ?
Alors pourquoi ne pas l’avoir fait chaque jour.
Vite, maintenant vite : Froment mourait de faim.
C’est pour manger qu’il se rendait à son repaire : pour manger. Il ne se rappelait pas trois faims semblables, dans sa vie. Rien d’aussi neuf ! Je vais avoir du saucisson et du pain. Il voyait ce pain : du beau pain, avec une sorte d’hélice de farine pour le décorer. Sacrés boulangers, dites ! Pourquoi font-ils ça ? Ils se doutent donc qu’il pourrait y avoir des gens qui auraient enfin une belle faim ? Une faim qui en soit une. Une faim où les parts sont comme des bouchées : d’où ce retour de la volute de farine bise, comme une clématite qui se serait enroulée nonchalamment à un bel arbre. Ou du chèvrefeuille. Oh ! la douceur printanière jamais remplacée du chèvrefeuille.
Le Paradis était retrouvé.
Sans avoir rien bu, Froment, Henri Froment, était pris d’une ivresse merveilleuse. Des sentiments aussi neufs qu’un matin de Pâques. Quarante-cinq ans, moi ? D’abord, on n’a jamais d’âge. On n’a jamais été qu’un pauvre enfant, plus ou moins craintif ou plus ou moins grondé. La vie entière se passe en faux calculs : au vrai, on n’aura toujours que six ou sept ans. Eh bien ! cette fois, le petit garçon est plutôt délivré. David a tué Goliath. Avec une fronde. C’est toujours avec une fronde qu’on tue.
« Dis donc, Froment, je l’ai bien eu, hein… ! »
Il circulait dans une forêt profonde, demi-courbé, recevant parfois une branche, mais jamais vraiment dans le visage. On fait mille gestes inconscients, qui composent tout un treillis de gestes et qui protègent.
Vite ce saucisson, ce saucisson qui s’épanouira, juste aux limites de sa pelure, révélant un fin hachis de lard blanc dans sa chair rouge… Faut-il allumer une lampe pour le voir ?
Mais non : les yeux du cœur voient mille fois mieux. Froment trébucha sur son repaire, ce repaire que dans quelques jours les photographes présenteraient dans des journaux illustrés : une tôle, depuis longtemps recouverte d’un camouflage de terre et de mousse.
— Alors, ce saucisson ! Il vient, ce saucisson ?
Il l’eut dans la main.
C’est ça, tuer un homme ? Ouh que c’est bon ! Sacré saucisson ! Sacré « Président » ! Fini, le Président ! Encore une bouchée. Plus de Président ! Un cercueil pour le Président ! Je t’avais bien dit, mon vieux, que tu ne connaissais pas Henri Froment. Qu’il y aurait un jour… Encore une bouchée, monsieur Henri Froment. (Qui est-ce qui nous a jamais dit « monsieur » à part nous-même ?)
Mais il ne voulait pas songer à des choses tristes : Je n’ai encore rien bu. Il tâtonna et trouva la bouteille de vin rouge. Avant de commencer « l’ouvrage » {sic}, il s’était acheté une bouteille du meilleur rouge qu’il avait pu trouver. Trois fois le prix d’une autre. Mais il avait des devoirs envers soi. Comme de se dire « monsieur » ; comme de parler de lui en disant « nous ». Il était une équipe. L’équipe de tous les Henri Froment qui avaient été trop brimés, dans la vie. Ils étaient légion.
Aussi : Santé !
Ce vin, loin de le griser, le rendit grave. Il se tenait debout, debout dans la nuit.
Il se taillait des tranches de saucisson. Il entaillait le pain puis arrachait la bouchée. Il se tenait debout, sans se lasser d’être debout, heureux de sentir ses reins : C’est ça être vivant.
— Si Dieu me voit (pourquoi n’y aurait-il pas un Dieu, ce soir ? on était large, bienveillant même, prêt à pas mal de concessions, prêt à laisser vivre autour de soi). Si Dieu me voit, il voit que je ne demande pas grand-chose : tuer le Président, et manger debout, parce que moi je suis vivant.
» Dis donc, je l’ai eu… C’est vrai, ça, Henri… ! Pour l’avoir eu, tu l’as eu… ! En plein. Il a levé les bras… Le ou les… Enfin, il a eu un geste… Ça disait bien ce que cela voulait dire…
» Bon voyage. Dommage qu’il n’ait pas su que c’était moi.
» Oh, il l’aura su.
» On dit qu’au moment de mourir, dix ou vingt secondes, même une seconde, c’est comme une journée d’un homme vivant… Vous avez le temps de tout revoir et de tout passer en revue… Eh bien, il aura eu le temps de savoir que c’était moi.
» Là-dessus, bonsoir !
Et Froment