Piet Mondrian
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Aperçu du livre
Piet Mondrian - Virginia Pitts Rembert
Notes
Photographie de l’artiste.
Introduction : À la recherche de Mondrian
Aldous Huxley proposait autrefois une anthologie de peintres ayant créé des « œuvres tardives ». Par cette expression, il n’évoquait pas les artistes ayant vécu longtemps sans pour autant se départir de leur style de jeunesse, mais ceux qui « ont vécu sans jamais cesser d’apprendre de la vie ». Pour être dignes d’entrer dans le Panthéon de Huxley, les œuvres produites par un artiste d’âge moyen ou mûr devaient être radicalement différentes de celles qui avaient été réalisées plus tôt.
Huxley mentionne les « trésors troublants » et « surprenants » parmi les œuvres tardives de Beethoven, Verdi, Bach, Yeats, Shakespeare, Goethe, Francesca, El Greco et Goya. Aux artistes figurant sur la liste de Huxley, on pourrait ajouter Michel-Ange, Rembrandt, Picasso, Moore et Mondrian.
On considère souvent que les œuvres tardives de ces artistes sont en deçà de celles qu’ils ont produites en pleine maturité, alors qu’ils ont en réalité évolué vers des versions soit atténuées, soit plus approfondies, de leur style antérieur. Souvent, ces œuvres tardives n’ont pas été comprises par ceux-là mêmes dont l’artiste avait été le mentor au moment de leur période mature, mais seulement par ceux qui l’ont suivi ultérieurement. Piet Mondrian appartenait certainement à cette catégorie de peintres.
Pendant les derniers trois ans et quatre mois de sa vie passés aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il se lança dans une version bien moins pénétrable que son œuvre moderniste achevée. Avec son œuvre finale inachevée, Victory Boogie-Woogie, l’artiste a peut-être esquissé le postmodernisme, un style (ou anti-style) qui devait s’imposer trente ans après sa mort.
Pourtant, ses œuvres tardives demeurent encore relativement mal comprises. Frank Elgar, auteur français d’une monographie grand public sur Mondrian, trouvait malheureux qu’il « n’ait pu résister à la tentation de communiquer les plaisirs si largement offerts par la vie américaine à son néoplasticisme maladroitement nommé ».
Elgar faisait allusion à l’interprétation courante des œuvres de Mondrian au crépuscule de sa vie à New York, comme décrivant littéralement la ville et la variante populaire du jazz, dite « boogie-woogie ». Les principaux biographes de Mondrian, à savoir le Belge Michel Seuphor (le pseudonyme de Ferdinand Berckelaers) et le Hollandais Hans Jaffe, ne voyaient dans ses œuvres tardives ni baisse de qualité ni discontinuité théorique ; tous deux insistent néanmoins sur les implications illustratives de ces dernières.
Ferme sur le canal, 1900-1902. Huile sur toile montée sur panneau, 22,5 x 27,5 cm. Gemeentemuseum Den Haag, La Haye.
Forêt, 1899. Aquarelle et gouache sur papier, 45,5 x 57 cm. Gemeentemuseum Den Haag, La Haye.
De toute évidence, l’artiste fut stimulé par le nouvel environnement aux États-Unis, où il était arrivé plein d’espoir le 3 octobre 1940. Si son immigration était une conséquence de la Seconde Guerre mondiale, l’idéal qui l’avait conduit aux États-Unis remontait pourtant à la Première Guerre mondiale, lorsque Mondrian formula pour la première fois une théorie sur sa propre place dans le monde moderne et un message pour ses futurs habitants.
Avec l’avènement de la Seconde Guerre mondiale, cet idéalisme était devenu inséparable de son rêve de l’Amérique, où, comme il était persuadé, le nouveau monde de l’humanité future allait éclore. L’artiste voyait « plus librement » dans ce pays, comme, selon lui, les Américains eux-mêmes, et sa peinture commença à changer en fonction de cette nouvelle façon de voir. Quand il modifia la couleur et le tempo de ses nouvelles toiles, le caractère statique de ses toiles antérieures céda la place à un sentiment de mouvement continuel ou de changement.
Les dernières Boogie-Woogies sont en effet dynamiques : remarquable prouesse pour un homme de l’âge de Mondrian, mort juste avant de fêter ses soixante-douze ans ! Mais, ses peintures ne semblant pas correspondre à ce qu’il faisait à Paris, beaucoup les considèrent comme une rupture avec son style parisien. Pourtant, c’est dans ses œuvres tardives que l’on peut apercevoir autant l’inspiration due au nouvel environnement de l’artiste que le point culminant de la théorie qu’il avait développée bien avant de venir dans ce pays. C’est pour cette raison que j’ai analysé ces peintures selon leur lien avec le lieu et avec la philosophie, et j’espère que le lecteur ne pensera pas que l’un exclut l’autre.
Lorsque j’ai étudié les racines de Mondrian dans la Hollande de la fin du XIXe siècle comme ayant contribué à sa formation artistique, je n’ai pas cherché à être exhaustif. Pour la simple raison que Jaffe, Seuphor, Welsh et Joosten ont déjà fait autorité en traitant la période réaliste de l’artiste en Hollande ainsi que ses périodes cubistes et du temps de De Stijl. Si mes études recoupent les leurs, c’est uniquement parce qu’il m’a semblé nécessaire de mettre la théorie De Stijl de Mondrian en relation avec ses œuvres de jeunesse afin de démontrer la continuité qui l’a conduit à ses créations finales en Amérique.
Aussi souvent que possible j’ai préféré laisser parler l’artiste avec ses propres mots. On a peu fait appel à ses écrits, car, traduits du hollandais en d’autres langues, ils étaient répétitifs, laborieux et peu précis et, par conséquent, difficilement compréhensibles pour les lecteurs. Il n’en demeure pas moins que Mondrian considérait l’écriture comme étant un impératif et qu’il fit beaucoup d’efforts pour se faire comprendre. Harry Holtzman m’a donné une copie du manuscrit que Martin James et lui s’apprêtaient à publier ; ainsi c’est à cette version que j’ai fait appel pour extraire quelques commentaires de l’artiste. Surtout quand la propre parole de Mondrian expliquait ses intentions mieux que quiconque, j’ai estimé qu’il méritait qu’on l’entende.
Femme et enfant devant une ferme, vers 1894-1896. Huile sur toile, deux volets, chacun : 33,5 x 44,5 cm. Gemeentemuseum Den Haag, La Haye.
Maisons et peupliers, vers 1900. Huile sur toile montée sur panneau, 31,5 x 40 cm. Collection privée.
Passiflore, vers 1901. Aquarelle sur papier, 72,5 x 47,5 cm. Gemeentemuseum Den Haag, La Haye.
Puis j’ai étudié les circonstances qui ont conduit l’artiste en Amérique et leur impact sur lui comme sur ceux qui en ont compris la portée. Dans un chapitre central, véritable pivot de mon travail, je reviens vers la théorie de Mondrian, mais cette fois-ci par rapport à ses relations pragmatiques avec son œuvre. Aussi ai-je démontré comment ses peintures étaient différentes de l’amalgame de styles européens que l’on retrouve chez les artistes abstraits américains jusqu’à ce que quelques-uns parmi eux commencent à comprendre sa logique et, chacun à sa manière, à en subir l’influence.
Lorsque je parle de ses disciples, je me suis d’abord tournée vers les quelques artistes qui étaient les plus proches de Mondrian, puis vers ceux, plus nombreux, qui avaient subi une influence indirecte mais irrévocable à son contact. J’ai eu la chance de connaître de nombreuses personnes ayant eu une complicité avec Mondrian ou avec ceux qui l’ont soutenu, surtout vers la fin des années 1960 (bien que certaines de ces amitiés aient perduré au-delà de cette époque).
Ce fut là une heureuse opportunité car, depuis, la plupart d’entre eux sont décédés, dont : Alfred Barr, Ilya Bolotowsky, Fritz et Lucy Glarner, Cari Holty, Harry Holtzman, Hans Jaffe, Sidney Janis, Lee Krasner, Richard Paul Lohse, Kenneth Martin, Alice Trumbull Mason, Henry Moore, George L. K. Morris, Robert Motherwell, Barnett Newman, Winifred Nicholson, Silvia Pizitz, Ad Reinhardt, Mark Rothko, Emily Tremaine, Charmion von Wiegand, Vaclav Vitlacyl, Paule Vezelay...
C’est Carl Holty qui m’a donné le plus d’informations. Bien qu’il n’ait jamais suivi la doctrine de Mondrian, il l’a comprise parfaitement, et il m’a aidée à comprendre également non seulement sa théorie mais aussi les peintures antérieures de l’artiste. C’est sous la tutelle de Holty que j’ai commencé à comprendre l’espace artistique, non seulement comme un concept, mais également comme une réalité concrète, ce qui correspondait exactement à ce que Mondrian voulait qu’il soit. L’influence de l’artiste plus âgé sur Holty était plutôt marginale, comparable à celle qu’il avait eue sur les expressionnistes abstraits ; c’est néanmoins à Holty que je dois beaucoup d’informations et de compréhension par rapport à Mondrian lui-même ainsi que sur son influence sur d’autres artistes américains.
J’ai rendu visite à Holty dans deux de ses ateliers à New York. De ses peintures – entre celles qui dépassaient d’un râtelier pour qu’il puisse les examiner et celle en cours sur une plate-forme horizontale – émanait une belle luminosité induite par la maîtrise des couleurs de l’artiste. D’après lui, c’est à Mondrian qu’il devait son sens de la surface et de la forme sous-jacente, responsable de la tendance vers le lyrisme dans ses œuvres tardives, mais la couleur lui était propre ; et Holty fut très fier quand Mondrian, lors d’une exposition à New York, exprima ouvertement son admiration pour la couleur dans l’une de ses peintures.
Au début, Holtzman ne souhaitait pas commenter ses propres travaux dont un exemple seulement était accessible au public, à la Yale University Art Gallery. Mais il finit par consentir à parler des quatre œuvres qu’il présentait lors de l’exposition « Abstract painting and sculpture in America, 1927-1944 » (« Peinture et sculpture abstraites en Amérique, de 1927 à 1944 ») qui avait eu lieu pendant l’été 1984 au Whitney Museum of American Art. Lors de l’été 1985, j’ai eu l’occasion de visiter la demeure de l’artiste, une grange rénovée dans le Connecticut. Il était fier de son travail en cours que l’on pouvait apercevoir dans un atelier spacieux situé à l’étage supérieur – une œuvre « qui se tenait sur le