Pilote de combat
Par Jean Copponnex
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À propos de ce livre électronique
Pilote de Chasse et de Bombardement Stratégique puis Moniteur de pilotage dans les décennies 1960 à 1990, en pleine Guerre Froide.
Encore adolescent, un éclat fugace dans le ciel, comme une révélation, a décidé de son avenir.
On le suit depuis son tout début, avec ses rêves, ses craintes, les difficultés et les réussites, avec la satisfaction, toujours, du devoir accompli.
Jean Copponnex
Rien, à priori, ne destinait cet enfant né en 1942 dans une famille de modestes commerçants de la région parisienne à une carrière militaire . Engagé volontaire à 18 ans, simple soldat, puis élève pilote sous-officier, il gravit avec obstination et bonheur les échelons professionnels et militaires. Breveté sergent Pilote de Chasse à juste 20 ans, il devint officier Chef de Patrouille, puis Commandant d'Avion du Bombardement. Il eut la chance de piloter les avions parmi les plus performants de l'époque, les Mirage IIIE et Mirage IVA.
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Aperçu du livre
Pilote de combat - Jean Copponnex
A Maïté, qui m’a accompagné courageusement avec une angoisse vaillamment surmontée
A Thierry, Sophie-Anne & Christine qui auraient certainement aimé en savoir plus
Et à tous les autres, parents et amis…
Voici, je l’espère, de quoi satisfaire une certaine curiosité
Table des matières
Préambule
SOLENZARA – septembre 1973
Naissance d’une vocation
LE BOURGET - L’engagement
ORLEANS – le Départ
MARRAKECH la Rouge – les Classes
COGNAC – Ecole de début
ORANGE - Transition réacteur
TOURS - Spécialisation Chasse
METZ – Transformation Opérationnelle
CAZAUX - Campagne de tir – EC 2/8 Nice
LUXEUIL - la Chasse - EC 1/4 Dauphiné
Le Mirage IIIE - EC 2/4 La Fayette
Le Bombardement Stratégique
BORDEAUX – CIFAS
LUXEUIL – EB 3/94 Arbois
NANCY - Retour à la Chasse
EC 1/3 Navarre – la SPA 153
CAZAUX – SIET – Officier Rédacteur
SALON – Ecole de l’air – Division des Vols
METZ – Fort de Guise – COFATAC
Et la Guerre ?...
Les risques du métier
Et après…
Epilogue
Assaut en Mirage IIIE
Mission Martel
Petit lexique
Oiseau de Paix
Retour sur le vol du 26 septembre 73
Documents souvenirs…
Eyguières, septembre 2010 - révision novembre 2017
Il y a maintenant prescription, plus de vingt-cinq ans après que l’Armée de l’air m’a mis à la « retraite ».
Les secrets en vigueur à l’époque de mon activité sont maintenant largement éventés, beaucoup ont été publiés, la drôle de guerre dite « Froide » n’est plus que souvenirs…
Pilote de Combat,
Voilà un terme qui regroupe deux aspects quelque peu différents :
Pilote de Chasse et Pilote de Bombardement Stratégique.
Ces deux volets d’un même métier m’ont amené à dompter des machines offrant des performances parfois comparables, mais à l’autonomie et aux capacités d’évolutions près, et dans un contexte bien différent.
La toute relative liberté de manœuvre et d’initiative de l’un s’opposait aux contraintes strictes et à l’extrême rigueur du cadre d’exécution des missions de l’autre.
C’est que la finalité de « la mission » n’était pas tout à fait la même...
Année 2010 : le temps était venu de dévoiler quelques aspects de ma carrière de pilote dans l’Armée de l’Air.
Il ne s’agit pas ici d’un roman, et surtout pas d’un récit d’aventures, mais du simple témoignage d’une tranche de vie d’un jeune homme qui s’est engouffré, on pourrait dire un peu inconsciemment… dans un monde qui lui était totalement inconnu.
Je vais faire revivre avec mes yeux innocents des années 1960 les nombreuses découvertes qui ont jalonné mon parcours de près de trente-deux ans sous l’uniforme.
Les initiés et professionnels trouveront certaines séquences très basiques, mais ce récit, était destiné avant tout à mes enfants et à mes proches totalement ignorants et de l’activité et du milieu dans lequel je les ai entraînés.
De nombreuses séquences rappelleront certainement des souvenirs ou feront sourire les anciens qui me liront. N’oublions pas qu’à l’époque, peu de jeunes avaient le loisir de se dégrossir en aéroclub comme c’est le cas de nos jours.
Les lecteurs seront, j’en suis certain, bienveillants et indulgents…
La difficulté était de traduire dans un langage compréhensible par tous les particularités des activités de ce milieu vraiment très spécial, un peu mystérieux pour le profane, très technique, où règne une ambiance à la fois sévère, stricte et rigoureuse et à la fois légère gaie et détendue, et où souffle parfois un esprit quelque peu potache !
La population de ce monde étrange est généralement jeune, - la moyenne d’âge des 18 pilotes d’un escadron de chasse de mon époque atteignait juste les 30 ans - mais cependant constituée de gens responsables, passionnés, hautement professionnels, conscients de la tâche leur étant confiée, des difficultés et des risques en découlant.
Ces hommes - et ces femmes, on n’arrête pas le progrès… - apprécient cette vie et n’en auraient changé pour rien au monde tout en sachant, et les exemples ne manquent pas, que tout peut s’arrêter très vite, trop vite...
Ils savent aussi qu’après les moments de tension, il faut savoir se détendre, profiter de l’instant présent et ne pas manquer une occasion de rire...
Je commence par l’événement qui fut le grand (très grand…) tournant de ma carrière, et qui a laissé dans ma « carcasse » des traces indélébiles…
Il m’a fallu 12 années pour en arriver là, 12 années d‘épreuves, d’attentes, d’impatience, depuis les débuts tendus, studieux et pleins d’incertitudes de l’élève pilote jusqu’aux étapes parfois difficiles et d’intense activité de pilote en escadrille¹ constamment sous contrôle en phases de progression, et bien souvent sous pression, pour atteindre enfin la consécration, le Brevet de Chef de Patrouille (BCP).
Le BCP, ce « bâton de maréchal » du pilote de chasse, qui ouvre les portes du domaine des Anciens… ou encore « des Vieux ²», ceux que les jeunes regardent et écoutent avec envie et respect.
Par la suite, la qualification professionnelle, l’expérience et la montée en grade aidant, d’autres responsabilités sont arrivées, mais c’est une autre histoire…
Pour mieux éclairer le lecteur ignorant de la chose, je présente certaines informations techniques que les initiés voudront bien me pardonner.
Elles m’ont semblé utiles pour mieux appréhender et comprendre ce métier, souvent bien éloigné des images d’Epinal et du spectaculaire cinéma hollywoodien.
¹ Un pilote en escadrille n’a pas de responsabilité au niveau de l’encadrement, contrairement au commandant d’escadron, et son second, au chef des opérations et aux deux commandants d’escadrilles. Sa fonction essentielle est l’entraînement, pour sa propre progression professionnelle et son perfectionnement puis dans la participation à la formation des pilotes de qualification inférieure.
² Un « Vieux », est un Chef de Patrouille très expérimenté, respecté, en tant qu’ancien. Il peut aussi être consulté par les chefs eux-mêmes., car ses avis ou conseils sont toujours bienvenus et précieux. Les jeunes le regardent avec envie… et écoutent avidement les récits de ses « aventures d’une autre époque ». Les vieux (30/35 ans !) de ma jeunesse ont pour la plupart fait leur school aux US ou au Canada, certains ont aussi participé à des opérations réelles. Autant dire que les anecdotes ne manquaient pas.
Solenzara - septembre 1973
Campagne de bombardement
En septembre 1973, un détachement de 3 Mirage IV A de l’Escadron de Bombardement 3/94 « Arbois » stationné sur la base aérienne 116 de Luxeuil-les-Bains effectuait sa campagne annuelle de bombardement sur la base aérienne de Solenzara située sur la côte orientale de la Corse.
Le but de ce séjour d’une semaine était l’entraînement des équipages au bombardement à très basse altitude et très grande vitesse sur le champ de tir de « Diane » situé en bordure de mer au nord de la base de Solenzara.
les missions
Les avions effectuaient environ trois vols par jour dans les créneaux horaires précis qui leur étaient réservés³.
Les missions avaient lieu généralement par patrouilles de trois avions qui s’espaçaient de sorte que l’un soit en début d’approche face à la cible (run d’approche), un autre en phase de dégagement après le tir, et le troisième sur la branche d’éloignement avant présentation sur le run d’approche.
Chaque avion effectuait trois largages sur la cible par sortie. Les bombes d’exercice utilisées, de petites dimensions⁴, simulaient les performances balistiques de la bombe nucléaire stratégique freinée AN22.
Le circuit, jusqu’au tir et après le dégagement avait lieu en survol maritime à la vitesse de 600 nœuds (kts) (1100 km/h). Les conditions de vol à vue étaient requises (vue du sol et sous les nuages) sauf la phase du tir proprement dit et le dégagement (évasive) nécessitant un cabré à 4G⁵ suivi d’un retournement impliquant une éventuelle pénétration dans la couche nuageuse.
Dans ce type de bombardement type LADD (low altitude drog delivery), l’avion largue sa munition durant la phase de cabré. Alors que la bombe poursuit sa trajectoire balistique puis est ralentie sous parachute, l’avion passe sur le dos, redescend rapidement près du sol, repasse en vol normal en s’éloignant à grande vitesse, assurant ainsi sa sécurité par un éloignement suffisant de la zone d’explosion
Ces missions, sans présenter de difficultés particulières pour des équipages bien entraînés, demandaient toutefois une grande rigueur. Pour le navigateur d’abord, dans le recalage de son système de navigation et de bombardement (SNB) et le tracé de la trajectoire. Pour le pilote ensuite, à qui revenait le maintien des éléments de vol (vitesse, altitude, ordres élaborés par le SNB), la manœuvre menant au largage et qui en conditionnait la précision, puis l’exécution de l’évasive, délicate et vitale pour la sécurité de l’appareil, pouvant s’apparenter à une figure de voltige à basse altitude !
Cette manœuvre effectuée, au cours des missions d’entraînement, sur le territoire métropolitain sur les champs de tir de « Captieux » près de Mont-de-Marsan et de « Suippes » près de Reims à vitesse élevée (450/500 kts) et à proximité du sol (500 ‘/150 m) était couramment pratiquée en toutes conditions de vol (jour, nuit, dans les nuages…).
Les tirs étaient soit fictifs, la restitution étant réalisée par des moyens radars spécialisés (COTAL), soit réels avec les « petites bombinettes » simulant la balistique de la « grande ».
Mercredi 26 septembre - 13 heures 15
le vol
Décollage avec mon navigateur attitré Jack L, sur le Mirage IV n°2 AA, en numéro deux de la patrouille des trois avions pour ma troisième mission de bombardement de la semaine.
Les avions étaient en configuration lisse (sans réservoirs supplémentaires sous les ailes) à une masse au décollage de presque 25 tonnes dont plus de 10 t (13800 l) de carburant !
La météo était correcte pour la mission, bonne visibilité, plafond aux environs de 2000 pieds (600 m), avec présence de grains sur une mer moutonneuse, avec une légère houle, vent de secteur nord.
la panne
Le premier circuit de tir se déroule normalement, puis au cours de la seconde présentation vers le nord face à la cible, passant au large travers la base de Solenzara, je vois le clignotement suivi rapidement de l’allumage fixe du voyant HUILE1 donc, du réacteur gauche. Les consignes dans ce cas étaient claires : couper immédiatement le réacteur pour lui éviter une grave détérioration et un emballement possible.
J’ai annoncé la panne à Jack, coupé le réacteur gauche, mis pleins gaz sur le droit en annonçant nos ennuis au surveillant des vols Francis W à l’écoute du trafic radio pendant toute la mission et qui m’a rappelé la procédure à suivre. Ce cas de panne, bien que rare, n’était pas extraordinaire et nous y étions préparés. L’avantage d’un biréacteur, c’est qu’il reste un moteur si l’autre est défaillant, donc pas de panique…
Il fallait maintenant ramener l’avion sur la piste dans les meilleures conditions sans perdre de temps, mais sans précipitation.
la procédure de retour au terrain
Nous étions à environ 5 nautiques (10 km) de la piste à très basse altitude et une vitesse de 600 kts. La seule manœuvre possible, pour se présenter correctement face à la piste pour l’atterrissage, était de revenir vers la base par un large virage à droite en montant au ras de la couche nuageuse, pendant lequel la vitesse devait lentement chuter vers 250 kts (450 km/h) vitesse recommandée pour préparer l’avion à l’atterrissage.
Il n’était évidemment pas question dans ces conditions d’entrer dans les nuages et de perdre la vue du sol et de la piste. Cela aurait entraîné une procédure de guidage par le radar d’approche de la base⁶ augmentant sensiblement le temps de vol donc le risque d’aggravation.
Ne pouvant évoluer en altitude, le virage m’a entraîné plus au large, la vitesse en diminution régulière. A 2000/2500 pieds (650 m) d’altitude, 350 kts (<600 km/h) en diminution, le voyant ALT1 s’est allumé normalement. J’ai coupé l’alternateur gauche puis vérifié le régime du réacteur droit correct à 8400 t/m et constaté rapidement que la puissance maximale de celui-ci ne suffisait pas à stabiliser la vitesse qui continuait à chuter.
J’ai alors lâché vivement un vibrant « ça merde ! … » en basculant simultanément la manette des gaz pour allumer la postcombustion (PC), altitude 2000’ en descente. Celle-ci ne s’allumant pas, j’ai vérifié la position des différentes commandes du circuit d’alimentation en carburant (robinet PC, INTERCOM), et tenté deux nouveaux essais infructueux.
La vitesse passant 300 kts en diminution rapide, alors que le voyant HYDRO1 s’allumait à son tour, j’ai décidé de rallumer le réacteur gauche vers 800’/220 kts.
L’éjection - 13 heures 30
En maintenant une vitesse permettant de piloter l’avion, l’altitude diminuait rapidement. Ne constatant pas de rallumage, vers 600 pieds en descente rapide, environ 200 kts (350 km/h), et arrivant à la limite du domaine d’utilisation du siège éjectable Martin-Baker⁷, j’ai ordonné l’éjection.
Il s’était écoulé environ 2 minutes depuis la première alarme.
Immédiatement, le siège du navigateur s’est « envolé », me libérant moralement pour tirer ma poignée basse d’éjection « me projetant » à mon tour à l’air libre. Si la situation n’était pas vraiment urgente au départ, la dégradation rapide et inéluctable demandait alors une prise de décision nette et précise…
Je remercie mon cher Jack d’avoir à son tour agi en confiance, sans hésiter, car à peine ai-je crié « saute », j’ai entendu les explosions éjectant sa verrière, suivies des coups de canon propulsant son siège hors de la carlingue. Il m’a dit par la suite que m’entendant dire « ça merde » il avait les mains sur la poignée d’éjection, déjà prêt ! C’est bien là l’avantage des équipages constitués, se connaissant parfaitement dans les moindres réactions et agissant en pleine confiance.
Que se serait-il passé s’il avait hésité, aurais-je eu le temps de sauter à mon tour ?
La dernière vision que je garde en tête de cet instant bref mais très intense, est l’image de la côte semblant basculer et monter à la hauteur de ma cabine, sensation bizarre, où l’on agit comme par réflexe : fruit d’un conditionnement entretenu de longue date.
Instinct de survie ? Toujours est-il qu’il fallait agir, et dans le bon sens. Il n’était pas temps alors de se poser des questions du style « ai-je bien fait ce qu’il fallait, quelle erreur ai-je commise, je vais devoir rendre des comptes… ».
Trop de pilotes n’ont malheureusement pas eu cette clairvoyance (ou cette chance ?) et sont restés dans leur avion, « bien au chaud », hésitant ou retardant la décision. Car avant de recevoir ce grand « coup de pied aux fesses », il faut soi-même « se les botter » !
Le geste déclenchant l’éjection bien que répété au sol est tout sauf naturel : lorsqu’on décolle avec un avion, c’est à priori pour le ramener au sol, sur ses roues !
le saut… et le bain
Des deux commandes d’éjection, la basse (poignée située entre les jambes) est la mieux adaptée à basse altitude et/ou en urgence, car plus facile à attraper et la course du câble déclenchant les mécanismes étant plus courte, le délai de la mise à feu est également plus court. L’autre commande (rideau masquant la tête dont la poignée est située au dessus) est préconisée en cas d’éjection préparée, ou à grande vitesse : le rideau maintient la tête bien calée sur le siège et la protège du violent courant d’air. En moins de 2 secondes, après une violente propulsion de l’ordre de 18 à 20 G (en une fraction de seconde, la tête pèse dans les 150 kg !), on passe du confort de la cabine à un grand calme rafraîchissant sous le parachute stabilisateur du siège éjectable.
Dans notre cas, la poignée basse a été utilisée. Dos bien appuyé sur le dossier, tête droite (autant que possible…) 15 cm de traction franche qui déclenche une avalanche de bruits, explosions, courant d’air, coups de canon, écrasement sur le siège, cliquetis des mécanismes de libération du siège, loopings dans les airs et… silence.
Un petit coup de freinage et tout était fini.
« Je redescends paisiblement sous une voilure bien ouverte, devant un spectacle époustouflant : « mon avion » plongeant dans la mer dans une gigantesque gerbe.
Il était grand temps d’y aller !
L’eau se rapproche très vite, le canot, déjà gonflé, pend à quelques mètres en dessous, il y a du vent, de la houle…
Attendre que le canot touche la mer avant de dégrafer la boucle du parachute pour ne pas tomber de trop haut. Il faut se détacher du parachute, mais pas trop tôt, pour éviter que les suspentes s’emmêlent au-dessus du corps, gênant la libération complète.
Je remercie les séances d’entraînement de paraplaning⁸, car l’estimation de la hauteur sur l’eau est plus qu’aléatoire !
Au contact, l’eau ne me semble même pas fraîche, je suis comme anesthésié.
Tirer le canot à soi, se hisser en glissant par le petit côté, s’asseoir et… souffler !
J’ai bien aperçu Jack sous sa coupole pendant la descente, mais maintenant, la houle me masque l’horizon, je ne le vois plus. Pourtant il ne devrait pas être loin !
Que faire maintenant ? Il y a de la lecture dans ce canot : liste et utilisation du matériel de survie. Ce n’est pas passionnant, mais le stress m’impose de faire quelque chose, alors, je lis et commence l’inventaire du matériel de survie disponible dans le canot… »
la récupération
Absorbé dans ma lecture…, le bruit du vent et des vagues me masque celui d’un bourdonnement qui s’amplifie rapidement, tandis qu’un souffle glacial me tombe sur les épaules. Le H34, hélicoptère de sauvetage de la base est déjà là !
Un plongeur descend au bout d’un filin, il me passe une brassière et le treuil me remonte transi dans l’engin bruyant et vibrant dont j’aperçois le visage du pilote m’offrant un large sourire en me reconnaissant. Nous avions fait un stage de ski/oxygénation dans le même hôtel l’hiver précédent à Val d’Isère.
Je suis bien calé au fond de la cabine et le plongeur récupère ensuite Jack. Nous nous congratulons « chaudement » pendant que l’hélicoptère nous ramène à la base.
Combien de temps sommes-nous restés en mer ? Dix, quinze minutes au maximum. L’éjection a été suivie en direct de la base (nous étions à 6/7 NM au large), l’hélicoptère en alerte a décollé quasiment immédiatement, comme à l’exercice.
Pour un baptême de saut en parachute, c’était réussi !
l’accueil des camarades
Je revois l’accueil chaleureux et enthousiaste des membres de l’escadron présents à notre débarquement. Visages étonnés, mais radieux, encourageants. Leur joie de nous voir vivants et entiers faisait chaud au cœur.
Il faut dire que quelques mois auparavant, l’escadron avait déploré la perte d’un équipage victime d’une panne grave (feu au réacteur) au décollage de nuit, n’ayant pu s’éjecter à temps.
Les témoignages de sympathie et de confiance des navigateurs (j’avais déjà volé avec chacun d’eux), surtout Norbert N avec qui j’avais aussi fait équipage pendant de longs mois, le soutien des pilotes, m’ont remonté le moral, car des questions lancinantes commençaient à encombrer mon cerveau…
L’avion n’est qu’un tas de ferraille, c’est vrai et nous étions saufs, mais le plus difficile allait maintenant commencer, surtout pour moi : restituer le fil des événements, préciser tous les éléments du vol, les indications des instruments, les alarmes, mes actions, mes réactions…
Confronter tout cela avec les textes, les procédures que j’ai appliquées (ou aurais dû… ?), répondre à toutes les questions que l’on ne manquera pas de me poser pour l’enquête, j’y pensais déjà.
Et j’en aurai encore, je le crains, pour de nombreuses semaines, voire des mois
le service médical
Pour l’heure, dans quel état physique étions nous après cet « incident » ?
Je ressentais une légère douleur dorsale qui me semblait normale après le « fabuleux coup de pied aux fesses » reçu. Quant à Jack, il semblait se porter comme un charme !
A Solenzara, il n’y avait qu’une infirmerie. Le médecin a pratiqué une visite rapide ne décelant rien de particulier. Mais une éjection est automatiquement suivie d’examens minutieux dans un Centre d’Expertise du Personnel Navigant (CEMPN).
Le plus proche, celui de la IV° Région Aérienne était à Marseille.
Un avion de transport NORD 2501 (NORATLAS) nous a ramenés sur le continent, sur la base de Salon de Provence où nous avons passé la nuit. Gentiment, le médecin-chef qui nous a accueillis a soigné notre excitation d’après-choc en nous offrant une demi-bouteille d’une boisson alcoolisée sortie de son bureau. Je ne me souviens pas quelle était la mixture, mais elle nous a fait le plus grand bien en noyant notre stress dans une bonne humeur exubérante…
Je commençais à avoir sérieusement mal dans le dos, une sensation de chaleur intense qui allait en s’amplifiant. Le lit fut le bienvenu, mais, le sommeil s’est fait attendre… dans une nuit agitée.
jeudi 27 septembre - Hôpital Laveran
Le lendemain jeudi, de bonne heure, transfert en ambulance pour Marseille, à l’Hôpital d’Instruction des Armées Laveran, siège du CEMPN.
Peut-être aurions-nous pu passer en urgence au service radiographie ?
Toujours est-il qu’il nous a fallu attendre le début d’après-midi, sur une chaise dans le couloir, que l’on veuille bien s’occuper de nous ! Pour m’entendre dire par le « manipulateur » au vu de ma colonne : « vous n’auriez jamais dû être pilote avec une colonne comme la vôtre ! ». C’était un commentaire très encourageant et particulièrement déplacé, il me semble !
Consigne immédiate a été donnée de me mettre au lit sur une planche, sur le dos, sans même avoir mangé ! J’y suis resté trois semaines.
Outre les lésions dues à l’éjection : fractures tassement de vertèbres dorsales et lombaires, cette radio a décelé des séquelles de la Maladie de Scheuermann (maladie de l’adolescence attaquant et fragilisant le rachis dorsal).
Heureusement qu’à l’époque, cet examen ne se pratiquait pas lors de la sélection, si bien que je n’avais encore jamais passé de radiographie du rachis !
Jack, indemne, à part son dos couvert de bleus - le choc avait occasionné l’éclatement de petits vaisseaux sanguins - a pu rentrer aussitôt à Luxeuil, m’abandonnant à mon triste sort.
De ces trois semaines d’hospitalisation, je ne retiens que deux choses :
- ce lit « durci » par une planche, sans aucun traitement ni information sur l’évolution de mon état.
- les interrogatoires musclés du président de la commission d’enquête venu me tirer les vers du nez, espérant me faire dire autre chose que « ma vérité » sur le déroulement des événements. Ceci était particulièrement efficace pour me remonter le moral.
Car il était persuadé, que je n’avais pu que faire une faute grossière pour en arriver là !
retour à la maison
Enfin, un beau jour d’octobre, j’ai pu regagner mes pénates sans autre explication, par voie aérienne militaire, avec une prescription de quelques séances de rééducation en kinésithérapie et une inaptitude « temporaire ? » de trois mois.
Je ne remercierai jamais assez le service médical pour la qualité des « non-soins » pratiqués à cette occasion !
Accueil ému sur la base de Luxeuil.
Maïté, tu m’attendais sur le parking avec Thierry. Te connaissant, je n’ose penser à ce que tu as pu endurer, d’abord à l’annonce de « l’accident », puis de mon hospitalisation et de mes blessures, bien que non vitales.
Jack était là aussi, au volant de notre nouvelle voiture, une magnifique petite Simca 1500 Spécial verte toute neuve.
Les soins que tu m’as prodigués à ce moment m’ont été d’un grand secours, car le moral était au plus bas.
L’avenir n’était pas rose : incertitude quant à la suite de ma carrière due à l’inaptitude et inquiétude quant à l’issue de l’enquête qui semblait mettre en cause mes compétences.
Un peu stupidement, par défi, j’avais décidé de ne plus me raser la moustache jusqu’à ce que je remonte dans un avion. Au fond de moi, je sentais que ce n’était pas fini.
L’expertise médicale à l’issue des trois mois d’arrêt m’a redonné espoir : j’ai retrouvé mon aptitude sans réserve. J’ai rasé la moustache que je portais d’ailleurs très mal…j’allais revoler !
Je ne pense pas que cela t’ait rassurée Maïté. Tu n’as jamais mis tes angoisses en avant, et je t’en remercie, cela n’a pas dû être toujours facile, et cela a perduré encore presque vingt ans !
renouveau - janvier 1974
Le 15 janvier, je remontais dans un Mirage IIIB pour une reprise en mains après cette longue interruption.
Ais-je eu de l’appréhension ? Même pas ! J’avais tellement attendu ce moment.
Mais vigilant, certainement. On ne sort pas indemne d’un tel événement. Cela fait réfléchir et remettre en cause certaines certitudes dans la confiance en soi et dans le matériel.
Dès la bonne nouvelle de mon aptitude connue, le commandant d’escadron m’a fait savoir que le commandant d’escadre souhaitait me voir. D’un coup d’aile je me suis retrouvé à Avord, siège du commandement de la 94° Escadre de Bombardement dont dépendait l’escadron.
« Ne sachant si vous retrouveriez votre aptitude, je ne voulais pas ajouter à la situation, mais je peux vous l’annoncer maintenant : le général Saint-Cricq commandant les Forces Aériennes Stratégiques (FAS) a décidé, dès qu’il a eu connaissance de votre accident, que vous ne voleriez plus sur Mirage IV » me dit-il.
C’est beau l’arbitraire du pouvoir !
Un bref instant surpris, j’ai rapidement saisi l’opportunité qui se présentait : « le Général verrait-il un inconvénient à ce que je retourne dans la Chasse ? » ai-je demandé.
Décrochant son téléphone direct avec le Commandement des FAS (CFAS) à Taverny, il a posé la question au général commandant en second. Après quelques instants qui m’ont paru très longs, la réponse est tombée : « le général n’y voit pas d’objection ».
Je me suis entendu lui dire avec une joie contenue : « Je demande à retourner dans la Chasse ».
Je ne me voyais pas passer des années à sauter de base FAS en base FAS pour faire voler en biplace les pilotes de Mirage IV à longueur d’année⁹ !
Pour patienter, quelques vols sur IIIB m’ont redonné l’assurance et l’aisance indispensables, le temps que l’administration centrale me trouve une affectation.
Celle-ci est arrivée pour le 01 avril (ce n’était pas un poisson !), direction la base aérienne 133 de Nancy-Ochey, la 3° Escadre de Chasse, sur Mirage IIIE, l’avion que j’avais quitté en 1969 pour le Mirage IV.
Le 09 avril 1974, premier vol en Mirage IIIE, sur le plateau d’Ochey, le renouveau !!!
Mais tout n’était pas fini, il y avait une enquête en cours…
l’enquête
Tout accident donne lieu immédiatement à une enquête visant à en déterminer les causes, éventuellement à en dégager les responsabilités et surtout à en tirer des enseignements pour éviter que les mêmes causes reproduisent les mêmes effets.
La perte d’un Mirage IV n’était pas un événement banal.
Cet « outil », rare et cher était le symbole de notre autonomie et de la sécurité de la Nation. De plus il n’est pas impossible que le lobby industriel ait exercé une « légère » pression pour minimiser des failles techniques qui auraient pu être mises en cause dans la ou les pannes réacteurs.
Comme pour tout accident aérien, une commission d’enquête a rapidement été constituée, avec un président, venant dans le cas présent de l’Etat-major des FAS, un officier mécanicien, un médecin et un pilote qualifié sur le type d’avion. Ce dernier était l’officier de sécurité des vols de l’escadron.
Au cours de ces enquêtes, différents volets sont étudiés : l’équipage (état mental et physique, qualification, entraînement, interview…), l’environnement (mission, préparation, météo…), l’avion (historique de l’entretien et anomalie éventuelles relevées, recherche d’indices sur l’épave…).
En ce qui concerne l’avion, l’épave étant à 600 m au fond de la Méditerranée, seuls les documents relatant le suivi mécanique purent être étudiés lors de l’enquête initiale.
L’environnement : les conditions d’exécution de la mission étaient conformes aux directives permanentes d’entraînement (CPX) et de sécurité des vols (CPSV).
Restait donc l’équipage : santé morale et physique vérifiée par les aptitudes réglementaires, et à jour, contrôlées par les documents officiels, hygiène de vie (repas, boisson…) dans les heures précédant l’accident, témoignages divers, et entretien avec le médecin.
Les compétences professionnelles sont vérifiées par la régularité et le contrôle de l’entraînement dans les types de missions de l’unité et les appréciations des cadres de l’escadron.
Chacun rédige son compte-rendu des événements dans le détail, que l’enquête peut ensuite décortiquer à loisir.
Viennent ensuite les entretiens séparés des membres de l’équipage par le président de la commission, les moments les plus difficiles et délicats de la procédure.
Tout doit être passé au crible, de la préparation de la mission au moment de l’incident initial, jusqu’à l’accident. Les déclarations des uns et des autres sont confrontées, pilote, navigateur, surveillant des vols - c’était mon ami Francis W. -, contrôleurs aériens et témoins éventuels.
Evidemment, en dernier ressort, les dires du pilote sont épluchés, celui-ci étant le seul à avoir pu constater les anomalies, noter les nombreux paramètres du vol et de la machine, les analyser et agir (en bien ou en mal…).
Une fois le choc psychologique suivant l’éjection atténué, il se passe dans la tête de ce pilote beaucoup de choses.
Pourtant, les détails retenus semblent dans un premier temps très clairs.
Mon analyse, sans pouvoir apporter de preuve d’aucune sorte, concluait sans aucun doute à une succession de pannes improbables, mais réelles : pourquoi cet avion ne pouvait-il plus voler normalement sur un seul réacteur¹⁰ ?
Je me suis alors trouvé confronté à une opposition systématique du président de la commission. Sa conviction était que j’étais fautif, que je m’étais trompé de réacteur, donc que j’avais éteint celui qui fonctionnait correctement, me mettant ainsi dans une situation irrattrapable.
Qu’une enquête d’accident soit menée tambour battant, il n’y a rien de plus normal.
Mais lorsqu’on est cloué sur un lit d’hôpital, on ne s’attend pas à être interrogé, voire agressé de cette façon. J’avais déjà noté, étudié et fait vérifier par mes camarades, Francis en particulier, les différents éléments gravés dans ma mémoire, car je savais bien que je devrais un jour restituer le déroulement des événements.
Le président de la commission a soudain débarqué en uniforme dans la chambre que je partageais avec un civil d’un certain âge.
Sans aucune discrétion, devant ce témoin, il m’a attaqué de front, d’un air plus que suspicieux.
Je n’ai pu lui dire que ce que je savais, malgré les questions sournoises, ambigües et orientées pour me troubler.
Si bien qu’à certain moment, je pouvais finir par douter… mais je n’ai pas craqué !
Il m’a même quasiment menacé : « vous savez, Copponnex, l’avion sera remonté à la surface et nous pourrons vérifier vos affirmations… ».
Sans lui avouer, je souhaitais vivement que ce soit le cas.
Mon voisin de chambre, qui n’avait apparemment aucune notion de l’armée ni de l’aéronautique, n’en revenait pas : « ce sont de vrais charognards ! » m’a-t-il dit outré, « vous n’avez pourtant tué personne ! »
Merci aux marins, « mon AA » a revu le jour !
En juin suivant, curieux hasard, - j’étais alors en campagne de tir avec l’escadron 2/3 Champagne de Nancy - avec l’aide d’un engin sous-marin de la Marine Nationale, j’ai vu « mon » avion remonter à la surface.
J’en étais bien content et ému,