Partie à Bornéo
Par Annie R.Teo
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À propos de ce livre électronique
Annie R.Teo raconte : Marseille en 1981, à l'occasion d'un cocktail pour transitaires, elle rencontre Swee Ann qui est officier sur un navire Malaisien. Après un voyage de repérage chez lui, à Bornéo, elle l'épouse et le suit d'escale en escale, de Fos sur Mer à la Suède, puis jusqu'au Japon en passant par Suez, Singapour, Hongkong et Pusan. Lorsqu'ils s'installent enfin à Bornéo, Swee Ann doit repartir poursuivre ses études ; Annie se retrouve seule pour découvrir et s'adapter à la vie d'expat à Kuching. Les gens, les dialectes, les insectes, les esprits, sans parler de la conduite à gauche, Annie découvre que l'humour est la meilleure façon de survivre au choc culturel et de construire sa vie au bout du monde.
Annie R.Teo
Annie R.Teo est née à Marseille; elle a fait ses études à Aix en Provence. Alors qu'elle travaillait pour un transitaire du quartier de la Joliette, elle a rencontré Swee Ann, officier de marine Malaisien. Mariés depuis 28 ans, ils vivent à Bornéo avec leurs deux fils.
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Aperçu du livre
Partie à Bornéo - Annie R.Teo
LA GENESE
Au commencement, il y avait Bornéo. Tout au tour et au delà de Bornéo il y avait l’océan tandis que dans le ciel l’astre Lune luisait en solitaire. Les nuits se suivaient qui se ressemblaient. En ce temps là l’astre Lune était si proche de la terre que les nuits duraient beaucoup plus longtemps que les jours. C’est ainsi que l’astre vint à faire connaissance avec la seule créature vivante sur notre planète : une chouette.
Très vite, la chouette et l’astre étaient devenus très amis. Tous deux n’avaient désormais qu’un souhait, celui de passer le reste de leurs nuits ensemble; en fait ils s’entendaient si bien que l’astre demanda à la chouette de l’épouser. Elle accepta.
Le couple se retrouvait donc chaque nuit lorsque l’astre descendait du ciel à presque toucher Bornéo; un fils naquit qui ressemblait fort à sa mère ; il avait un teint de lune. L’enfant était tout simplement magnifique, la plus grande fierté de ses parents.
Au fil du temps et alors que l’enfant grandissait, l’astre Lune s’aventurait de plus en plus haut dans le ciel pour y trouver sa place. Les journées devinrent de plus en plus longues et les nuits en famille de plus en plus courtes. L’astre Lune qui souffrait pourtant de son éloignement ne pouvait rien faire qu’obéir aux lois mystérieuses de la création de l’univers; c’était sa destinée. Il décida donc d’emmener femme et enfant avec lui dans le cosmos et fit part de son intention à la chouette qui demanda à réfléchir. Il lui faudrait tout de même de quitter sa terre natale de Bornéo pour un coin inconnu de l’univers et changer totalement de vie !
Nuit après nuit l’astre repartait sans réponse. Certes la chouette aimait son compagnon et souhaitait vivre avec le père de son enfant mais son cœur était tiraillé sans merci entre son amour et la peur de l’inconnu. La tension monta finalement entre les époux jusqu'à ce qu’à bout de patience l’astre en vint à poser un ultimatum à la chouette qui dans notre parler moderne correspondrait à ceci: « Tu me suis ou on divorce ! ». Elle choisit le divorce et tous deux entamèrent de se disputer la garde de l’enfant ; la première famille dysfonctionnelle était née.
Les nuits devinrent invivables. Qu’était-il advenu de l’amour qui avait uni ces deux là ? Les conversations étaient devenues disputes aggravées. Tous deux souhaitaient garder l’enfant ; ils finirent par prendre en commun la décision qui leur paraissait la plus équitable : ils partagèrent l’enfant ; littéralement.
C’est ainsi que l’astre Lune pris procession de sa moitié qu’il brisa en autant d’éclats qui devinrent les étoiles de notre galaxie et que la chouette émietta les morceaux de sa part d’enfant aux quatre coins de Bornéo où ils prirent racines, grandirent et devinrent les arbres de la forêt tropicale.
Légende Dayak
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Chapter 2
LE REPERAGE
Bornéo, le 6 Juin 1982, j’atterrissais à Kuching, Sarawak.
« Feeling butterflies», se sentir papillons, c’est l’expression que les anglais utilisent pour décrire l’état d’effervescence que ressentent les amoureux. C’est vrai que j’avais des papillons dans la tête surtout quand je venais de survoler en avion la moitié de la planète pour venir rejoindre Swee Ann et mieux faire sa connaissance. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connait point » ; quelle aventure !
Au bureau mon collègue Gérard avait cru bon me prévenir : « La Malaisie est un pays musulman. » Swee Ann ne l’était pas.
Mon départ imminent pour l’ile mythique de Bornéo était devenu le sujet préféré de tout le bureau. J’avais acheté mes billets Aeroflot pour Singapour ; au delà je devrai traverser la mer de Chine méridionale à bord d’un avion de la Malaysian Airlines System. Il ne m’était resté qu’à compter les jours jusqu'à mon congé.
Du service marketing à la compta mes collègues qui étaient presque toutes des femmes, avaient spontanément partagé mon enthousiasme ; leur solidarité dans la grande aventure qui m’attendait avait certes contribué à me donner le courage qui aurait pu me manquer à force d’imaginer ce qui pouvait m’attendre, hors mis Swee Ann, là-bas au bout du monde.
Au fil des jours mes souvenirs de fillette qui rêvait de voyager étaient revenus un à un. Parmi mes programmes de télévision préférés d’alors, les documentaires filmés dans des pays lointains suivaient Disney de prés. Je voulais devenir archéologue alors qu’Indiana Jones n’était pas encore né dans l’imagination de Spielberg. Ce devait être l’année de mes huit ans et je me souviens que les épisodes programmés portaient presque tous sur l’Asie. En fin d’une de ces séries documentaires je m’étais fait deux promesses solennelles que je devrai tenir coute que coute dans ma vie de grande personne archéologue-globe trotter professionnelle :
1-Explorer Angkor Watt.
2-Eviter Bornéo comme l’enfer.
Du haut de mes huit ans j’étais prête à traverser le monde, même à pied s’il le fallait jusqu’aux portes de la citée cambodgienne, pour pouvoir découvrir moi-même ses temples tombés, pendant si longtemps, victimes de l’oubli des hommes qui les avaient abandonnés aux poignes de géants que les arbres de la forêt font de leurs racines puissantes.
Le documentaire sur les habitants de Bornéo, au contraire, m’avait totalement convaincue, quoi qu’il arrive, de ne jamais faire escale sur cette ile dangereuse. Je me souviens encore de ces images de guerriers Dayaks dont les corps étaient tatoués du cou jusqu’aux orteils, sourire à la camera de toutes leurs dents plaquées or. Le commentateur qui, il fallait bien le croire, leur avait échappé avec la bobine de film avait expliqué que ce peuple pratiquait la chasse aux cranes humains pour leurs collections personnelles. Je n’avais jamais eu aussi peur d’affronter mon avenir d’exploratrice que depuis le programme sur les Jivaros réducteurs de têtes ! Presque vingt ans plus tard, mieux renseignée sur l’évolution des coutumes Dayaks en fin de XXème siècle et sous le charme de Swee Ann, j’avais jeté ma prudence au panier et j’étais prête à mettre le cap sur Bornéo, rassurée d’avoir appris que les indigènes conservaient encore les cranes mais qu’ils n’en collectionnaient plus de nouveaux et que la chasse était officiellement interdite.
J’étais enfin partie vers l’inconnu, même si n’était que pour deux semaines ; je ne savais quasiment rien sur Swee Ann sauf bien sûr ce qu’il avait tenté de m’expliquer à notre dernière rencontre et que j’avais eu du mal à assimiler: il était né et avait grandi dans un village de pécheurs malais (donc musulmans) ; ses parents étaient des chinois teo-chew, toutefois sa grand- mère paternelle (Ah Mah) était iban (tribu redoutée de coupeurs de têtes !) ; il conversait en dialecte iban avec Ah Mah, en teo-chew avec le reste de la famille, en malais avec les clients, en hokkien avec les autres chinois qui n’étaient pas teochew et anglais le reste du temps et bien sûr avec moi. Malais, teochews, ibans et hokkiens, un véritable casse tête! Je ne comprenais pas plus comment dans la même famille Ah Mah pouvait être animiste, les parents et plusieurs de leurs enfants taoïstes, le frère numéro trois bouddhiste (Swee Ann est le numéro quatre), le frère numéro cinq anglican et le frère numéro six prêt à se convertir à l’islam pour l’amour d’une fille malaise. Pour moi tout ça était du chinois à commencer par le fait de s’appeler par des numéros plutôt que par des prénoms.
A l’agence de voyage les blagues sur les avions d’Aeroflot m’avaient fait un peu hésiter puis je m’étais finalement laissée convaincre par leurs tarifs qui étaient de loin les moins chers sur le marché. Un plateau garni de caviar à mi-chemin entre Marseille et Moscou avait fait oublier mes préjugés conquise malgré les manières plutôt brusques de l’hôtesse qui m’avait l’air d’avoir été sélectionnée sur un gabarit d’ogresse qui aurait suivi un entrainement para- militaire. A force de l’observer gérer ses camarades passagers manu militari je m’étais amusée à imaginer cette femme chez elle, en négligé et pantoufles dans un rôle d’épouse dévouée et maman gâteau. Qui sait ?
Mes deux voisins de cabine faisaient partie de l’équipe soviétique qui venait de participer à une course de voiliers qui s’était déroulée à Nice. Ils parlaient quelques mots d’anglais et j’avais compris qu’ils étaient originaires de Géorgie, ce dont ils étaient très fiers.
« Le caviar sans vin de Géorgie, Niet ! »
Leur fierté régionale avait même réussi à attendrir l’hôtesse-ogresse qui nous avait apporté un extra de caviar à chacun accompagné d’un petit blanc (de Géorgie !) bien frais servi dans des verres à vin. Lorsqu’elle nous avait finalement abandonné la bouteille je m’étais tout à coup sentie comme Bécaud devant son chocolat chaud au café Pouchkine sauf que moi je me suis retrouvée pompette à l’atterrissage.
Les six heures de transit à l’aéroport de Moscou auraient pu me paraitre interminables même avec un bon livre mais il n’en n’avait rien été ; il y avait tellement à observer dans cet univers pour moi tout nouveau qui ne fonctionnait pas tout à fait comme les autres aérogares européennes. J’avais attendu mon vol de correspondance pour Delhi dans une salle immense réalisée quasi tout entière en vitres soutenues et encadrées par une charpente en acier gris. Les passagers qui devaient embarquer ou encore ceux qui arrivaient traversaient tous la salle à grands pas précipités comme s’ils étaient sous consigne de ne pas s’attarder. Hors mis ces passages peu fréquents, je m’étais retrouvée presque toujours seule avec à mon service de privilégiée le petit