On ne devrait jamais quitter Besançon. C’est là qu’Albert Savarus, cet avocat aux ambitions électorales affichées et assumées, avait prévenu : « Le jour des élections, je serai tout ce qu’il faudra que je sois. » Le héros de Balzac perdra tout, jusqu’à finir dans un couvent. Le 5 avril, Edouard Philippe est dans la préfecture du Doubs. Il connaît ses classiques et c’est tout sauf un hasard s’il prononce la phrase de Savarus. Les mots martèlent une détermination. L’ancien Premier ministre a ce qu’il appelle un infaillible « volontomètre » : quand on veut une chose, il ne faut vouloir que cela, en vouloir deux, c’est ne pas vraiment vouloir. Mais la phrase est aussi riche de ses ambiguïtés. Etre tout ce qu’il faudra être, c’est, sinon s’inspirer de Jacques Chirac et de son indépassable « Je vous surprendrai par ma démagogie », au moins prouver qu’on est prêt à beaucoup de choses. Même à des compromis, même à des radicalités, qui sait. Voire à de la souplesse… Jusqu’où Edouard Philippe le prétendant est-il susceptible d’aller contre son histoire, contre sa personnalité, pour devenir le successeur ? Contre son tempérament, enfin ? Cet adepte du temps long subit l’accélération de l’histoire avec cette dissolution que lui, comme tant d’autres, n’avait pas vu venir.
La lucidité est une curieuse vertu. Elle vous libère des illusions. Mais agit comme un implacable révélateur de vos limites, parfois rédhibitoires pour l’élection suprême. Edouard Philippe ne manque pas de clairvoyance. L’homme mesure la soif de radicalité de l’époque. Dès 2017, Emmanuel Macron incarnait un dégagisme en col blanc. Au diable les gestionnaires, coupables de tous les maux. La supériorité technique rassurait ? Elle indiffère, au mieux, le triomphe de Jordan Bardella aux européennes l’a montré. Nourrit un procès en mépris