La fugue

Tly a chez les êtres humains des pulsions de vie et des pulsions de mort. Eros et Thanatos. La dualité des âmes.

Anne ressentit les deux en même temps si puissamment ce matin-là qu’elle comprit qu’elle n’avait pas le choix. Il fallait qu’elle parte, sinon elle mourrait. Ou elle ferait une bêtise.

Elle regarda autour d’elle, tous ces objets accumulés et dont elle n’avait que faire. Ces fioles de parfum, ces crèmes antirides hors de prix, ces vêtements de marque bien coupés, puis elle avisa son reflet dans le miroir éclairé. Quoi ? C’était elle cette femme au regard éteint ?

Dans sa chambre, elle eut un rire amer en contemplant le lit qui ne brûlait plus depuis des années. Comme c’était triste un lit qui ne servait plus qu’à dormir…

Elle s’était résignée pourtant, en se mentant de la pire des manières. Elle se racontait des fables sur la tendresse qui remplace la passion, sur l’amitié qui succède à l’amour.

Alain avait très mal préparé sa retraite. Il n’y avait songé que le jour où ses collègues lui avaient organisé un pot de départ en lui offrant quelques cadeaux. Il était rentré dépité à la maison. Anne avait eu du chagrin pour lui et s’était dit que ça allait passer. Elle travaillait encore pour une année et faisait des projets pour deux, le réconfortait, s’enthousiasmait pour telle ou telle activité qu’ils pourraient enfin faire ensemble. Elle avait commencé à s’inquiéter lorsque, soir après soir, quand elle rentrait du travail, elle trouvait Alain assis dans le canapé devant une émission de télévision stupide, qu’il ne semblait même pas regarder, la vaisselle pas lavée dans l’évier, les poubelles non sorties. Il se renfrognait dans un mutisme de plus en plus insupportable si elle essayait de l’aider.

– Chéri, tu sais que tu peux me parler… Tu fais peut-être une sorte de dépression ? Il faut prendre ça au sérieux. Tu veux que j’appelle le docteur Joubert ?

– Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? s’emportait-il. Je