Au-delà du pardon
La nuit est presque tombée lorsque le car à la peinture écaillée ralentit dans un grand virage. Il stoppe à l’entrée de Pors Bourlazan dans le bruit aigu de ses freins fatigués, à un arrêt improbable où seuls descendent les habitants du hameau. Les phares aux lumières chétives ne parviennent pas à traverser l’épais brouillard persistant venu de la mer. Le voyageur met le pied sur le sol, répond à peine au salut du chauffeur. Il relève le col de sa vareuse, passe la bride de son sac marin sur son épaule droite puis se dirige vers le centre du village, baissant la tête pour mieux lutter contre le vent. Le souffle, puissant, courbe les rares arbres totalement dépourvus de feuilles en ce mois de janvier 1947.
Les yeux plissés pour percer l’obscurité de la tempête, l’homme progresse à grands pas. Il vient de repérer le Café de la Marine, dont le propriétaire est Jaouen Kermadec. Il touche au but de son voyage. Quand il pousse la porte qui déclenche une clochette comme dans une mercerie, tous les regards se portent sur lui. Il est jeune – 28 ou 30 ans – mal rasé, paraît négligé dans ses vêtements trempés. Regard clair et franc. Il semble savoir précisément où il est et ce qu’il veut. Nul ne le reconnaît pourtant. Il est un inconnu, mais en aucun cas un touriste égaré.
Derrière son comptoir où est appuyé un vieillard, verre de blanc à la main, le patron des lieux lance un accueillant :
– Qu’est-ce que vous voulez ?
Plutôt que de répondre, l’homme dépose son sac marin, secoue sa vareuse après l’avoir dégrafée, regarde autour de lui pour estimer la situation.
Un silence total règne dans le café, chacun attendant la suite des événements. Cinq clients se trouvent dans la salle, qui observent tour à tour le patron et l’inconnu, se posent quantité de questions dont ils espèrent une réponse rapide. Qui est-il ? D’où vient-il ? Que fait-il
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