Dramatique Louisa

Armelle Bertho, la patronne du café, éclata de rire tout en agitant son torchon dans les airs.

– Oyez, oyez, oyez, le petit freluquet ne connaît pas Louisa ! Mais qui donc ne connaît pas Louisa, à part lui ? Les autres s’esclaffèrent à leur tour. Il y avait Simon Lecordier, issu d’une très longue lignée de cordiers et cordier de son état, bien qu’âgé de près de 80 ans. Timéo Rouillard, le maçon, un grand gars tout sec d’une quarantaine d’années, à la tignasse rousse et hirsute que l’on surnommait « Queue-de-renard ». Isaac Leborgne, le cordonnier, 45 ans, veuf depuis cinq ans d’Eloane, morte en 1918 de la grippe espagnole contractée lors d’un séjour dans la capitale. Antonin Guillemet, 55 ans, instituteur. Antonin Guillemet, le seul qui n’avait pas ri.

Parmi eux, un seul avait un jour convolé, tardivement : Isaac Leborgne. Mais puisqu’il était « tombé » veuf dix ans après son mariage sans que sa femme lui ait donné d’enfant, il faisait partie du lot de ceux que la malédiction avait condamnés, dans ce minuscule village du Morbihan, à ne jamais avoir de descendants.

Isaac Leborgne avait bien failli y échapper, mais toutes les prières de sa pauvre mère, toutes les mortifications qu’elle s’était infligées, allant jusqu’à faire chaque jour dix fois le tour du calvaire à genoux, n’avaient pas suffi. Eloane avait été enceinte au début de leur mariage, mais elle avait perdu le bébé. On racontait qu’il s’était littéralement desséché dans ses entrailles et que l’accoucheuse avait dû l’en extraire avec deux longues cuillères.

Le freluquet dont parlait Armelle Bertho s’appelait Ange Trouvé. Il ignorait de quel ventre de femme il était sorti, vingt ans plus tôt, en 1903, puisqu’il avait été abandonné dans l’église d’un autre village, pas très éloigné de celui-ci, et qu’il avait grandi dans un orphelinat tenu par des religieuses. Grâce à elles, il avait appris tout ce qu’il savait. Ce n’était pas grand-chose, mais il leur était reconnaissant pour cela. Antonin Guillemet se tenait à l’écart.