Papers by Irit Sholomon Kornblit
Argumentation et analyse du discours, 2018
Metaphor and the Social World, 2021
This paper analyses metaphors and analogies of cultural diversity at UNESCO in a discursive and r... more This paper analyses metaphors and analogies of cultural diversity at UNESCO in a discursive and rhetorical-argumentative framework, to answer the following question: How do these rhetorical devices play a legitimizing role when introducing a new keyword into the public sphere? Conventional and creative metaphors are analyzed separately to examine if they represent different legitimization strategies. Conventional metaphors and analogies include variations on treasure, heritage, and biodiversity; creative metaphors include cultural diversity as a living treasure and a Rainbow River. The findings suggest that the wealth metaphor fulfills an evaluative meliorative function, while the heritage metaphor constructs a collective identity devoid of internal conflict, thereby depoliticizing the concept of cultural diversity. The biodiversity analogy further depoliticizes cultural diversity via naturalization and the invocation of the authority of science. Legitimization is also achieved by invoking past discourse and shared knowledge, and by tapping into UNESCO’s “discursive memory.” In contrast, the creative metaphors living treasure and Rainbow River play a different argumentative role: they offer a rhetorical solution of coexistence to two contradicting views on culture; one as a static, closed entity to be protected from extinction, and the other as a changing, dynamic process. They do so by fusing both views, represented by different metaphors, into one creative metaphor.
Argumentation et analyse du discours
Du singulier au collectif: construction(s) discursive(s) de l'identite collective dans les debats publics (P. Paissa & R. Koren, Eds.) Ed. Lambert-Lucas, 2020
The Rhetorical Construction of Shared Authority in Times of Crisis. Belgian PM Wilmès's Ethos dur... more The Rhetorical Construction of Shared Authority in Times of Crisis. Belgian PM Wilmès's Ethos during the Coronavirus Crisis". Part of ADARR's research project on "Discursive and Rhetorical Legitimation Strategies of Political Leaders during the Coronavirus Crisis in Different Countries: Common Lines and Divergences" under Prof. Ruth Amossy
De la diversite fantasmee aux effets de realite (Sy, Stalder, Veillette, Gohard-Radenkovic, eds.), 2019
This article proposes a discursive, rhetorical and argumentative analysis of the ways of naming c... more This article proposes a discursive, rhetorical and argumentative analysis of the ways of naming cultural diversity in UNESCO’s discourse. Its Universal Declaration on Cultural Diversity (2001) names cultural diversity “the common heritage of humanity”, “as necessary to humankind as biodiversity is to nature” and “constitutive of humanity itself”. Through the rhetorical and argumentative procedures of the inclusion of the part into the whole, analogy and paradox found in the first article of this Declaration and its Preface, we show how international discourse possesses a large array of discursive strategies permitting it to manage the tension between unity and diversity. The institution thus succeeds in enunciating a consensual discourse, without necessarily abandoning its polyphonic quality. This challenges the common idea that, in its quest of appeasing a large and diverse public, international rhetoric should have lost its relevance and become devoid of meaning.
We propound a rhetorical and argumentative perspective on the petite phrase “culture isn’t a comm... more We propound a rhetorical and argumentative perspective on the petite phrase “culture isn’t a commodity like any other”. We reconstruct the different stages of its germination and subsequent stabilization in the public sphere surrounding the debate on “cultural exception” until its becoming a formula, highlighting its argumentative role through the hierarchization of values opposing culture to commodity.
We trace the different stages of the analogy found in UNESCO’s discourse between biological and c... more We trace the different stages of the analogy found in UNESCO’s discourse between biological and cultural diversity. The first article of the Universal Declaration on Cultural Diversity, stating that “cultural diversity is as necessary to humankind as biodiversity is to nature” (UNESCO 2002) serves as our starting point. Following Plantin’s typology of analogies (2011): relational, categorial and structural, we analyze various UNESCO documents between 2001 and 2010 in order to reconstruct the trajectory of this analogy as it evolves through those three different stages, until it merges into “biocultural diversity”, a concept formulated in a 2010 UNESCO conference (UNESCO 2010b, art. 12). We furthermore underline the argumentative value of this analogy, which includes the legitimization of cultural diversity through a concept and value already widely accepted in the doxa (biodiversity) as well as the naturalization of a political concept – cultural diversity – through its close association with a scientific and “natural” one. The article also explores the argumentative role of fuzzy semantic and categorial boundaries.
Thesis Chapters by Irit Sholomon Kornblit
Departement de Francais, Universite Bar-Ilan, 2019
Les discours institutionnels internationaux comme celui de l’Unesco sont généralement perçus comm... more Les discours institutionnels internationaux comme celui de l’Unesco sont généralement perçus comme étant rigides, formulaires et abstraits (Rist 2002, Oger & Ollivier-Yaniv 2003, Cusso & Gobin 2008, Krieg-Planque & Oger 2010). Cette « rhétorique formulaire » (Rist 2002b) serait caractérisée par une « vacuité » sémantique (Rist 2002a : 9), objet de critiques virulentes de la part de nombreux chercheurs ou commentateurs profanes. Nous défendons au contraire la thèse selon laquelle il n’en a pas toujours été ainsi. Le discours institutionnel (DI) peut avoir gardé les traces de la créativité et de la plasticité dont il a dû faire preuve lorsqu’il était encore une institution discursive en gestation. Ces constituants sont, de plus, encore perceptibles lorsque ce discours, une fois institutionnalisé, a à persuader un auditoire hétérogène. L’analyse discursive, rhétorique et argumentative (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1988, Amossy & Koren 2009) de la formule « diversité culturelle », telle qu’elle a été formulée dans la Déclaration Universelle de l’Unesco pour la diversité culturelle (Unesco 2001), nous permettra de justifier ce point de vue. La théorisation de la notion de « formule » par Krieg-Planque (2009) jouera en l’occurrence un rôle central. Le corpus construit à cette fin comprend des DIs, mais aussi des métadiscours civils et scientifiques qui abondent dans leurs sens ou constituent des contre-discours.
L’accent est mis sur les enjeux de la tension entre consensus et dissensus, figement et plasticité (Chapitre I). Concernant la rigidité versus la souplesse du DI, nous montrons que, contrairement à la thèse de la « rhétorique formulaire » initialement défendue par Rist (2002), le DI connaît un stade initial, où un nouveau concept doit être formulé afin de faire face à une réalité changeante. Ce stade correspond à la première partie de la définition de l’ « institution discursive » proposée par Maingueneau (2010 : 86). Celle-ci inclut, outre le « sens usuel d’une organisation de pratiques et d’appareils », l’ « action d’établir » un « processus de construction légitime ». C’est cet aspect du DI que nous souhaitons mettre ici en avant. Nous le faisons en analysant des procédures rhétoriques jouant un rôle fondamental dans la Déclaration pour la diversité culturelle (Unesco 2001).
La formule diversité culturelle fait, à première vue, partie des « discours sans opposants », que (Juhem 2001 : 10, en note) définit comme « des systèmes d’énoncés qui ne se heurtent pas à l’opposition concertée d’acteurs organisés ». Le discours de la diversité culturelle est en outre validé par des rapports et des articles scientifiques commandés et publiés par l’Unesco. L’analyse des métadiscours civils engagés ou scientifiques montre cependant l’existence d’un contre-discours dénonçant la dimension euphémistique, le flou sémantique et la polysémie de la formule, qui auraient essentiellement pour fin de dissimuler des discriminations (Chapitre II).
L’analyse de la campagne pour la diversité culturelle entamée dans les années 1990 sous le nom d’ « exception culturelle » montre qu’elle est le lieu de profondes discordances, qui sont la conséquence de différences de weltanschaungen culturelles concernant la relation entre culture et marché, pouvoir politique et liberté de l’individu, mondialisation et défense des cultures nationales. Cette polémique concernant les différences culturelles, économiques et idéologiques liées à la diversité culturelle est particulièrement visible dans l’analyse de la petite phrase résumant la campagne française, « la culture n’est pas une marchandise comme les autres » (Chapitre III). Le concept perelmanien de hiérarchie de valeurs (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1988 : 109) permet de théoriser la dissociation entre culture et marchandise, qui sont hiérarchisées différemment selon les modèles culturels. Dans sa campagne, la France donne la primauté à la dimension culturelle et dévalorise la composante marchande des industries culturelles. Cette dissociation (op. cit. 557) lui permet de se distancier de l’ethos américain, en associant la France aux « créations de l’esprit » et à l’ « idée universelle de la culture », et les États-Unis aux « seules forces de l’économie » et à de « simples commerces » (Mitterrand 1993a). L’abîme idéologique et culturel se manifeste également à travers l’analyse des métadiscours scientifiques francophone et anglophone. Nous montrons donc que le contexte idéologique, axiologique et culturel international, souvent oublié en analyse du discours, est au contraire primordial et nécessaire à l’analyse discursive des formules.
L’un des procédés rhétoriques qualifie ainsi la diversité culturelle de « patrimoine commun de l’humanité ». Nous montrons, en traçant l’histoire discursive de cette expression métaphorique et de ses composantes lexicales dans le discours de l’Unesco et dans le droit international, que cette qualification possède une longue histoire (Chapitre IV). En se positionnant dans la diachronie, la formule de diversité culturelle s’en trouve légitimée comme appartenant à la « mémoire discursive » de la communauté internationale. Nous analysons également la valeur rhétorique-argumentative de la formule grâce au recours à la technique de l’inclusion de la partie dans le tout (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1988 : 312), qui permet de construire une unité par-delà les différences : au lieu d’être associée à la différence et au conflit (Huntington 1997), elle est recatégorisée comme un bien commun de l’humanité. La métaphore de patrimoine implique la protection et la valorisation d’une humanité unie, dans l’intérêt des « générations futures » (Unesco 2001, art. 1er). Les enjeux identitaires du concept de patrimoine semblent renoncer à leurs connotations politiques, pour renforcer la thèse d’une communauté humaine unie par ce patrimoine commun.
Un autre procédé rhétorique établit une analogie entre les diversités culturelle et biologique : la Déclaration déclare la diversité culturelle aussi nécessaire au genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant (ibid.). Nous analysons l’apparition et la circulation de cette analogie dans le discours écologique et onusien et en dégageons les enjeux argumentatifs (Chapitre V). L’association d’un concept nouveau et d’un concept d’ores et déjà connu et accepté par la doxa tel que la biodiversité permet à la diversité culturelle d’être plus facilement acceptée et constitue un procédé de légitimation. De plus, la biodiversité appartient au discours écologiste qui s’est déjà fait une place d’honneur dans le discours des institutions internationales. Les concepts du patrimoine et de la biodiversité s’intègrent en outre dans le discours du « développement durable », qui jouit lui aussi d’un statut privilégié dans la mémoire discursive des institutions. Le concept de diversité culturelle s’intègre alors à des discours déjà légitimes et respectables au sein de la communauté internationale : celui du patrimoine culturel, celui du développement durable et celui de la biodiversité.
L’analyse des métaphores qualifiant la diversité culturelle de richesse, de patrimoine, de trésor, de couleurs ou de fleuve et des analogies avec des lois et des phénomènes naturels tels que l’évolution, l’érosion ou la biodiversité, montre que le DI n’est pas forcément figé, rigide et vide de sens, mais recourt au contraire à un large éventail de procédés discursifs et rhétoriques pour fonder sa légitimité et sa crédibilité. Il puise dans la mémoire discursive afin de positionner et de légitimer son nouvel objet ; il recourt à des techniques rhétoriques associatives telles l’inclusion de la partie dans le tout et les procédés analogiques et à des techniques dissociatives telles l’antithèse, le paradoxe et les hiérarchies, afin de combattre le paradoxe inhérent à la formule, qui cherche à conjuguer et à faire admettre la réciprocité et l’interdépendance des concepts d’unité et de diversité.
Nous espérons, par ce travail, avoir posé des jalons pour de futurs travaux en rhétorique argumentative et figurale, qui théoriseront et prendront en compte les dimensions interculturelles des conflits internationaux et la recherche de modalités favorisant l’intercompréhension et le vivre-ensemble.
Books by Irit Sholomon Kornblit
Du singlulier au collectif. Constructions discursives de l'identite collective dans les debats publics (P. Paissa & R. Koren, Eds.), 2020
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Thesis Chapters by Irit Sholomon Kornblit
L’accent est mis sur les enjeux de la tension entre consensus et dissensus, figement et plasticité (Chapitre I). Concernant la rigidité versus la souplesse du DI, nous montrons que, contrairement à la thèse de la « rhétorique formulaire » initialement défendue par Rist (2002), le DI connaît un stade initial, où un nouveau concept doit être formulé afin de faire face à une réalité changeante. Ce stade correspond à la première partie de la définition de l’ « institution discursive » proposée par Maingueneau (2010 : 86). Celle-ci inclut, outre le « sens usuel d’une organisation de pratiques et d’appareils », l’ « action d’établir » un « processus de construction légitime ». C’est cet aspect du DI que nous souhaitons mettre ici en avant. Nous le faisons en analysant des procédures rhétoriques jouant un rôle fondamental dans la Déclaration pour la diversité culturelle (Unesco 2001).
La formule diversité culturelle fait, à première vue, partie des « discours sans opposants », que (Juhem 2001 : 10, en note) définit comme « des systèmes d’énoncés qui ne se heurtent pas à l’opposition concertée d’acteurs organisés ». Le discours de la diversité culturelle est en outre validé par des rapports et des articles scientifiques commandés et publiés par l’Unesco. L’analyse des métadiscours civils engagés ou scientifiques montre cependant l’existence d’un contre-discours dénonçant la dimension euphémistique, le flou sémantique et la polysémie de la formule, qui auraient essentiellement pour fin de dissimuler des discriminations (Chapitre II).
L’analyse de la campagne pour la diversité culturelle entamée dans les années 1990 sous le nom d’ « exception culturelle » montre qu’elle est le lieu de profondes discordances, qui sont la conséquence de différences de weltanschaungen culturelles concernant la relation entre culture et marché, pouvoir politique et liberté de l’individu, mondialisation et défense des cultures nationales. Cette polémique concernant les différences culturelles, économiques et idéologiques liées à la diversité culturelle est particulièrement visible dans l’analyse de la petite phrase résumant la campagne française, « la culture n’est pas une marchandise comme les autres » (Chapitre III). Le concept perelmanien de hiérarchie de valeurs (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1988 : 109) permet de théoriser la dissociation entre culture et marchandise, qui sont hiérarchisées différemment selon les modèles culturels. Dans sa campagne, la France donne la primauté à la dimension culturelle et dévalorise la composante marchande des industries culturelles. Cette dissociation (op. cit. 557) lui permet de se distancier de l’ethos américain, en associant la France aux « créations de l’esprit » et à l’ « idée universelle de la culture », et les États-Unis aux « seules forces de l’économie » et à de « simples commerces » (Mitterrand 1993a). L’abîme idéologique et culturel se manifeste également à travers l’analyse des métadiscours scientifiques francophone et anglophone. Nous montrons donc que le contexte idéologique, axiologique et culturel international, souvent oublié en analyse du discours, est au contraire primordial et nécessaire à l’analyse discursive des formules.
L’un des procédés rhétoriques qualifie ainsi la diversité culturelle de « patrimoine commun de l’humanité ». Nous montrons, en traçant l’histoire discursive de cette expression métaphorique et de ses composantes lexicales dans le discours de l’Unesco et dans le droit international, que cette qualification possède une longue histoire (Chapitre IV). En se positionnant dans la diachronie, la formule de diversité culturelle s’en trouve légitimée comme appartenant à la « mémoire discursive » de la communauté internationale. Nous analysons également la valeur rhétorique-argumentative de la formule grâce au recours à la technique de l’inclusion de la partie dans le tout (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1988 : 312), qui permet de construire une unité par-delà les différences : au lieu d’être associée à la différence et au conflit (Huntington 1997), elle est recatégorisée comme un bien commun de l’humanité. La métaphore de patrimoine implique la protection et la valorisation d’une humanité unie, dans l’intérêt des « générations futures » (Unesco 2001, art. 1er). Les enjeux identitaires du concept de patrimoine semblent renoncer à leurs connotations politiques, pour renforcer la thèse d’une communauté humaine unie par ce patrimoine commun.
Un autre procédé rhétorique établit une analogie entre les diversités culturelle et biologique : la Déclaration déclare la diversité culturelle aussi nécessaire au genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant (ibid.). Nous analysons l’apparition et la circulation de cette analogie dans le discours écologique et onusien et en dégageons les enjeux argumentatifs (Chapitre V). L’association d’un concept nouveau et d’un concept d’ores et déjà connu et accepté par la doxa tel que la biodiversité permet à la diversité culturelle d’être plus facilement acceptée et constitue un procédé de légitimation. De plus, la biodiversité appartient au discours écologiste qui s’est déjà fait une place d’honneur dans le discours des institutions internationales. Les concepts du patrimoine et de la biodiversité s’intègrent en outre dans le discours du « développement durable », qui jouit lui aussi d’un statut privilégié dans la mémoire discursive des institutions. Le concept de diversité culturelle s’intègre alors à des discours déjà légitimes et respectables au sein de la communauté internationale : celui du patrimoine culturel, celui du développement durable et celui de la biodiversité.
L’analyse des métaphores qualifiant la diversité culturelle de richesse, de patrimoine, de trésor, de couleurs ou de fleuve et des analogies avec des lois et des phénomènes naturels tels que l’évolution, l’érosion ou la biodiversité, montre que le DI n’est pas forcément figé, rigide et vide de sens, mais recourt au contraire à un large éventail de procédés discursifs et rhétoriques pour fonder sa légitimité et sa crédibilité. Il puise dans la mémoire discursive afin de positionner et de légitimer son nouvel objet ; il recourt à des techniques rhétoriques associatives telles l’inclusion de la partie dans le tout et les procédés analogiques et à des techniques dissociatives telles l’antithèse, le paradoxe et les hiérarchies, afin de combattre le paradoxe inhérent à la formule, qui cherche à conjuguer et à faire admettre la réciprocité et l’interdépendance des concepts d’unité et de diversité.
Nous espérons, par ce travail, avoir posé des jalons pour de futurs travaux en rhétorique argumentative et figurale, qui théoriseront et prendront en compte les dimensions interculturelles des conflits internationaux et la recherche de modalités favorisant l’intercompréhension et le vivre-ensemble.
Books by Irit Sholomon Kornblit
L’accent est mis sur les enjeux de la tension entre consensus et dissensus, figement et plasticité (Chapitre I). Concernant la rigidité versus la souplesse du DI, nous montrons que, contrairement à la thèse de la « rhétorique formulaire » initialement défendue par Rist (2002), le DI connaît un stade initial, où un nouveau concept doit être formulé afin de faire face à une réalité changeante. Ce stade correspond à la première partie de la définition de l’ « institution discursive » proposée par Maingueneau (2010 : 86). Celle-ci inclut, outre le « sens usuel d’une organisation de pratiques et d’appareils », l’ « action d’établir » un « processus de construction légitime ». C’est cet aspect du DI que nous souhaitons mettre ici en avant. Nous le faisons en analysant des procédures rhétoriques jouant un rôle fondamental dans la Déclaration pour la diversité culturelle (Unesco 2001).
La formule diversité culturelle fait, à première vue, partie des « discours sans opposants », que (Juhem 2001 : 10, en note) définit comme « des systèmes d’énoncés qui ne se heurtent pas à l’opposition concertée d’acteurs organisés ». Le discours de la diversité culturelle est en outre validé par des rapports et des articles scientifiques commandés et publiés par l’Unesco. L’analyse des métadiscours civils engagés ou scientifiques montre cependant l’existence d’un contre-discours dénonçant la dimension euphémistique, le flou sémantique et la polysémie de la formule, qui auraient essentiellement pour fin de dissimuler des discriminations (Chapitre II).
L’analyse de la campagne pour la diversité culturelle entamée dans les années 1990 sous le nom d’ « exception culturelle » montre qu’elle est le lieu de profondes discordances, qui sont la conséquence de différences de weltanschaungen culturelles concernant la relation entre culture et marché, pouvoir politique et liberté de l’individu, mondialisation et défense des cultures nationales. Cette polémique concernant les différences culturelles, économiques et idéologiques liées à la diversité culturelle est particulièrement visible dans l’analyse de la petite phrase résumant la campagne française, « la culture n’est pas une marchandise comme les autres » (Chapitre III). Le concept perelmanien de hiérarchie de valeurs (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1988 : 109) permet de théoriser la dissociation entre culture et marchandise, qui sont hiérarchisées différemment selon les modèles culturels. Dans sa campagne, la France donne la primauté à la dimension culturelle et dévalorise la composante marchande des industries culturelles. Cette dissociation (op. cit. 557) lui permet de se distancier de l’ethos américain, en associant la France aux « créations de l’esprit » et à l’ « idée universelle de la culture », et les États-Unis aux « seules forces de l’économie » et à de « simples commerces » (Mitterrand 1993a). L’abîme idéologique et culturel se manifeste également à travers l’analyse des métadiscours scientifiques francophone et anglophone. Nous montrons donc que le contexte idéologique, axiologique et culturel international, souvent oublié en analyse du discours, est au contraire primordial et nécessaire à l’analyse discursive des formules.
L’un des procédés rhétoriques qualifie ainsi la diversité culturelle de « patrimoine commun de l’humanité ». Nous montrons, en traçant l’histoire discursive de cette expression métaphorique et de ses composantes lexicales dans le discours de l’Unesco et dans le droit international, que cette qualification possède une longue histoire (Chapitre IV). En se positionnant dans la diachronie, la formule de diversité culturelle s’en trouve légitimée comme appartenant à la « mémoire discursive » de la communauté internationale. Nous analysons également la valeur rhétorique-argumentative de la formule grâce au recours à la technique de l’inclusion de la partie dans le tout (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1988 : 312), qui permet de construire une unité par-delà les différences : au lieu d’être associée à la différence et au conflit (Huntington 1997), elle est recatégorisée comme un bien commun de l’humanité. La métaphore de patrimoine implique la protection et la valorisation d’une humanité unie, dans l’intérêt des « générations futures » (Unesco 2001, art. 1er). Les enjeux identitaires du concept de patrimoine semblent renoncer à leurs connotations politiques, pour renforcer la thèse d’une communauté humaine unie par ce patrimoine commun.
Un autre procédé rhétorique établit une analogie entre les diversités culturelle et biologique : la Déclaration déclare la diversité culturelle aussi nécessaire au genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant (ibid.). Nous analysons l’apparition et la circulation de cette analogie dans le discours écologique et onusien et en dégageons les enjeux argumentatifs (Chapitre V). L’association d’un concept nouveau et d’un concept d’ores et déjà connu et accepté par la doxa tel que la biodiversité permet à la diversité culturelle d’être plus facilement acceptée et constitue un procédé de légitimation. De plus, la biodiversité appartient au discours écologiste qui s’est déjà fait une place d’honneur dans le discours des institutions internationales. Les concepts du patrimoine et de la biodiversité s’intègrent en outre dans le discours du « développement durable », qui jouit lui aussi d’un statut privilégié dans la mémoire discursive des institutions. Le concept de diversité culturelle s’intègre alors à des discours déjà légitimes et respectables au sein de la communauté internationale : celui du patrimoine culturel, celui du développement durable et celui de la biodiversité.
L’analyse des métaphores qualifiant la diversité culturelle de richesse, de patrimoine, de trésor, de couleurs ou de fleuve et des analogies avec des lois et des phénomènes naturels tels que l’évolution, l’érosion ou la biodiversité, montre que le DI n’est pas forcément figé, rigide et vide de sens, mais recourt au contraire à un large éventail de procédés discursifs et rhétoriques pour fonder sa légitimité et sa crédibilité. Il puise dans la mémoire discursive afin de positionner et de légitimer son nouvel objet ; il recourt à des techniques rhétoriques associatives telles l’inclusion de la partie dans le tout et les procédés analogiques et à des techniques dissociatives telles l’antithèse, le paradoxe et les hiérarchies, afin de combattre le paradoxe inhérent à la formule, qui cherche à conjuguer et à faire admettre la réciprocité et l’interdépendance des concepts d’unité et de diversité.
Nous espérons, par ce travail, avoir posé des jalons pour de futurs travaux en rhétorique argumentative et figurale, qui théoriseront et prendront en compte les dimensions interculturelles des conflits internationaux et la recherche de modalités favorisant l’intercompréhension et le vivre-ensemble.